Chapitre 1 : La guérisseuse de Sarazan

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Les bois de Lenaris s'étendaient devant moi, éternellement sombres et mystérieux avec leur odeur fraîche aux roses boisées. Le murmure du vent dans les feuilles et le doux chant des oiseaux berçaient la forêt d'une mélodie apaisante. Tandis que je m'avançais entre les arbres violets en évitant soigneusement les feuilles desséchées, mes sens étaient en éveil, chaque craquement de brindille, chaque chuchotement du vent, tout était une partie de la symphonie silencieuse de la nature. Mon arc en bois rudimentaire reposait gracieusement dans mes mains, la corde tendue à l'extrême. Une flèche reposait contre la rainure, attendant son moment de liberté. La tension dans l'air était palpable à tel point que j'entendais mon propre cœur, une énergie vibrante qui traversait chaque fibre de mon être, j'avais faim et j'étais prête à tout affronter pour un peu de protéine.

Soudain, un bruit dans un buisson à ma gauche attira mon attention. Un frémissement subtil, à peine audible, mais suffisant pour briser la tranquillité de la forêt. Je me figeai, observant le buisson avec une concentration intense pendant que mon arc se tournait discrètement vers le bruit. Pas à pas, je m'approchai de la source du mouvement, les feuilles mortes craquant légèrement sous mes bottes en peau de loup. Mon regard scrutait l'obscurité du feuillage, prêt à révéler le mystère qui s'y cachait.

Un lapin émergea soudain du buisson, sa fourrure brune éclatant de manière fugace entre les ombres. Mon instinct prit le relais, ma flèche fut décochée dans un mouvement fluide et précis, elle fendit l'air avant de trouver sa cible, et le lapin chuta sans un bruit. Un soupir de satisfaction s'échappa de mes lèvres. Ma chasse matinale avait été plutôt rapide et couronnée de succès. Je retire délicatement la flèche, les éclats de lumière bleuâtre filtraient à travers la canopée dense, dansant sur le métal écarlate de la flèche désormais teintée de sang. Avec délicatesse, je récupère ma proie sans vie et la glisse doucement dans la besace que je portais en bandoulière.

Mon arc retrouva sa quiétude sur mon dos, laissant la forêt reprendre son souffle. La flèche, témoin de ma chasse, fut soigneusement remise en place à côté des autres. Maintenant, il était dans mon devoir de restituer à la nature ce que je lui avais pris, mes mains forment alors une sphère et mes doigts s'étirent et s'inclinent comme les vagues lointaines, créant une symphonie gestuelle. Au creux de ces mouvements naît l'image d'un petit lapin, fragile et naissant entre mes paumes. Calmement, je caresse l'apparition du bout de mon doigt, reconnaissante pour la vie que j'avais ôtée à une créature pour en redonner une autre. Je dépose le petit lapin près d'un arbre, lui offrant un sourire silencieux, une offrande humble à la nature qui avait assisté à cette danse de vie et de mort sans mot dire.

La cloche du port de Lenaris annonçant l'arrivée des caravelles et galions qui venaient d'Oceanspire me tira de mon sommeil. Il me fallut quelques instants pour comprendre où je me trouvais. Les plans de travail en chêne violet, les divers outils de médicine éparpillés partout et le lit d'osculation sur lequel j'étais assise me rappelèrent que j'étais dans mon ancien cabinet médical. Il y a dix ans cet endroit était rempli de malades, de Faes qui venaient de partout de Sarazan et qui croyaient en moi comme si j'étais leur dernier espoir. Mais malheureusement cet espoir est parti depuis bien longtemps.

La mort de ma mère avait bouleversé ma vie, je suis passée de tout à rien en l'espace de quelques instants. A chaque pas dans la rue je pouvais sentir le jugement des passants, leurs chuchotements empreints de rancœur, les sans-abris fébriles me regardaient de travers en pensant sûrement que j'étais égoïste d'envoyer ce pouvoir aux oubliettes, de ne plus l'utiliser pour sauver les autres, pour sauver mon peuple. Mais je refusais d'aider qui que ce soit après avoir été incapable de sauver l'une des personnes les plus importantes à mes yeux. Peut-être que je suis réellement égoïste au fond. Je préférais voir mon peuple mourir devant mon cabinet implorant à l'aide, que d'utiliser mon pouvoir à nouveau. Pourtant, je pouvais sentir dans ma peau, dans mon cœur serré que l'arbre de vie désapprouvait fortement mon choix. Je n'ai jamais osé le regarder par peur d'y voir plus que de la déception. En fin de compte c'était cela que je représentais, une profonde déception non seulement pour Lenaris mais pour tout Sarazan et surtout ma famille.

The Sound of BloodOù les histoires vivent. Découvrez maintenant