Chapitre 3

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♪ : Flightless bird, American Mouth - Iron & Wine


Novembre 2016


Encore aujourd'hui, je ne savais pas pourquoi il nous avait été aussi facile de créer du lien, à part peut-être le fait que j'étais catégorisé comme l'ami de sa sœur ou bien encore parce qu'il n'avait pas arrêté de venir au restaurant pour passer du temps à mes côtés pendant les fermetures.

C'était presque devenu un rituel pour nous, si bien que j'attendais toujours les week-ends avec grande impatience. Je n'avais pas caché à Hayun le fait que son frère et moi étions devenus "amis" et il fallait croire qu'elle en avait déjà eu vent puisqu'elle m'avait souvent répété que son aîné lui parlait parfois de moi.

Nous avions pourtant deux ans d'écart, et bien que ce n'était pas toujours choquant pour les autres, je m'étais souvent fait la réflexion qu'une personne de son âge devait avoir d'autres centres d'intérêts qu'un ado encore en pleine crise existentielle.

Je m'étais trompé, comme un bleu.

Taehyung avait beau avoir l'étoffe d'un petit adulte, il n'était pas moins un grand enfant et partageait même quelques-uns de mes goûts. Lorsqu'on se retrouvait, après avoir rangé la salle, nous échangions sur nos statistiques de jeu ou bien nous parlions de musique, et j'avais été ravi de le voir si intéressé par ma grande passion des playlists.

Au travers de toutes ces choses, j'avais fini par apprendre qu'il était étudiant dans une faculté de philosophie, alors il m'avait beaucoup embrouillé le cerveau avec toutes ces théories que j'avais pourtant trouvé très intéressantes.

Au fond, je le cachais un peu mais c'était presque facile pour moi de l'entendre me parler de tout comme de rien, du moment que c'était Taehyung qui le formulait. Tout finissait par avoir un sens, tout finissait par avoir une logique, et si il n'y en avait pas, alors il trouvait le moyen d'en créer une à sa convenance pour rendre les choses plus faciles.

Un soir, fidèle à sa nouvelle habitude, Taehyung vint me rejoindre au restaurant à la fin du service. Alors que je m'attendais à ce qu'on aille se promener sur notre petit bout de plage favorite, il me surprit en me proposant un tour en voiture. Après tout, il était plus vieux que moi, mais j'en avais presque oublié qu'il pouvait avoir le permis, ou même une voiture. Il m'avait alors confié que l'un de ses amis la lui avait laissé pour la soirée, et ainsi, nous grimpâmes à bord.

– C'est une vieille bagnole, me confia Taehyung en allumant le moteur.

Je l'avais facilement remarqué, et j'avais souris. C'était peut-être un vieux tacot pour les autres, mais je m'étais de suite senti à l'aise, et dès lors que Taehyung avait commencé à rouler, une vieille musique de David Bowie, "Heroes", se fit entendre à travers la radio. Comme plongé dans une scène de film dont j'étais l'acteur principal, je regardais les lumières des lampadaires défiler à travers la fenêtre, m'imaginant être aussi libre que le vent. Soudain, prit d'une pulsion, je lui demandai d'ouvrir nos fenêtres, ce qu'il fit, et c'est là que j'entendis son rire, son merveilleux rire s'engouffrant dans les plus profondes parties de mon coeur, lorsque je me mis à hurler le refrain tout en sortant la tête dehors. Nous étions au mois de novembre, pour autant, le temps était encore (étrangement) bon.

Encore maintenant, ce joyeux souvenir hantait ma mémoire dès que la voix de Bowie retentissait. Ce soir-là, à ses côtés, je m'étais senti totalement différent, comme si quelqu'un au-dessus de moi avait pu écrire mon histoire sans que j'en sois l'auteur, et cela n'avait pas eu de prix. Rien, je dis bien rien, n'aurait pu être aussi précieux que les sourires que Taehyung m'offrit pour répondre à toutes mes bêtises, et autant dire que j'avais été le premier à tomber sur le cul lorsqu'il finit par hurler les paroles (en véritable yaourt) avec moi, sa main droite accrochée au volant, l'autre valsant de bas en haut, telle une vague, au gré du vent.

La dérive ᵗᵏᵏOù les histoires vivent. Découvrez maintenant