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À travers les allées bordées de pierres tombales, Lu Jiahao et Lu Guang marchaient côte à côte, silencieux. Comme il le lui avait assuré, le blanchâtre accompagnait son petit frère visiter la tombe de leur mère, non sans appréhension cependant. Un poids inopiné oppressait sa poitrine, écourtait son souffle au fur et à mesure qu'il voyait le plus jeune ralentir, signe qu'ils approchaient le lieu convoité. Lorsque le blond finit par les arrêter, le plus grand surprit chaque membre de son corps se tendre subitement. Figé des pieds à la tête malgré lui, il n'osait pas ne serait-ce que jeter un coup d'œil à la stèle. La simple idée d'y lire le nom qui y était inscrit, l'effrayait à en faire pulser son cœur, même après tant d'années.

Dans le coin de sa vision, il entraperçut son jeune frère près de la tombe, plantant un long et banal bâton dans le sol, autour duquel il enroula une chaîne fine et tout juste teintée de rouille, à laquelle pendait l'anneau d'or blanc, celui qu'il avait retrouvé des semaines plus tôt grâce aux services de son aîné et son associé. Quand il eut terminé, il laissa ses fesses retomber sur le bord du chemin jonché de graviers et croisa ses jambes en tailleur, engendrant un plissement de sourcils au blanchâtre.

- C'est sale par terre, fit-il remarquer, cherchant en réalité à défaire le nœud obstruant sa gorge, sans succès.

Lu Jiahao accorda un bref coup d'œil autour de lui, puis haussa les épaules.

- Mes vêtements s'en remettront, les machines à laver existent, répondit-il, lui adressant un mince sourire amusé.

Pris de court en le voyant afficher une telle expression, alors qu'il s'était attendu à le voir surplombé d'un nuage noir tout au long de leur passage en ces lieux, le plus grand se détendit rien qu'un peu. Suffisamment pour cesser de rester immobile et, avec maladresse, prendre place aux côtés de son cadet. Relevant les genoux vers son torse et les agrippant du bout de ses doigts, Lu Guang ne savait où regarder. Pour une raison qui lui échappait, confronter ce morceau de pierre taillée et entreposé parmi tant d'autres similaires, lui demandait un effort difficile à dépasser. Discrètement observé par ceux du blond, il finit par poser ses yeux sur ses chaussures et essaya de retrouver une contenance en comptant les croisements de ses lacets.

- Tu n'es jamais venu ici, non ? lui demanda-t-il, maladroit et bienveillant.

- Non, admit le plus grand.

Le plus petit ne chercha pas à le faire s'épancher sur le sujet, comprenant que son frère n'en avait pas l'envie et, en plus de cela, probablement pas la capacité non plus à cet instant-là.

Non, le blanchâtre n'avait pas une seule fois voulu ou accepté de mettre les pieds dans ce cimetière, bien qu'il eut toujours été au courant que les ossements de sa mère y reposaient. Les premières années, il avait été trop apeuré de faire face à la foule d'émotions qui l'aurait submergée et dont il n'aurait su s'extirper. Les années suivantes, il avait cru que la douleur s'était estompée, que son deuil s'était terminé, il avait donc jugé inutile de venir perdre son temps auprès d'une non vivante. Maintenant qu'il se trouvait là, il se demanda vaguement s'il ne s'était pas trompé, s'il était réellement passé au-dessus de cette mort ou s'il ne faisait que semblant.

Ayant terminé depuis longtemps d'énumérer les intersections de ses lacets, il retint sa respiration lorsque de vieux souvenirs tentèrent de se frayer un chemin entre les parois de son esprit. Les mains tremblotant sur le tissu de son jean, il s'efforça de barrer la route à ces réminiscences, refusant de s'y laisser aller alors qu'il n'y voyait aucun intérêt. S'enticher d'un passé immuable et douloureux, n'était pas une chose à laquelle il se complaisait.

- Tu crois qu'elle serait contente de te voir ici avec moi ? l'interrogea le plus petit.

Ramené à la réalité par cette voix, Lu Guang redressa aussitôt la tête. Il le dévisagea brièvement, s'étonna une seconde fois de ne pas percevoir une seule lueur attristée en lui. Fixant la stèle grisée et usée, dénuée d'un bouquet de fleur, mais accompagnée du bâton orné de ce bijou aussi ordinaire qu'unique, le blond semblait seulement pensif. Le plus grand avait presque l'impression que ses lèvres étaient prêtes à s'étirer en un maigre sourire, qui serait le reflet d'une nostalgie bien accueillie.

𝐓𝐇𝐄 𝐐𝐔𝐄𝐄𝐍 𝐀𝐍𝐃 𝐓𝐇𝐄 𝐊𝐈𝐍𝐆 | ❝ˢʰⁱᵍᵘᵃⁿᵍ❞Où les histoires vivent. Découvrez maintenant