[ C i r c é ]
— On a merdé. On a merdé fort, Laz'.
La peur qui émane de mon compagnon résonne dans mes os comme une vibration sourde. Chaque battement erratique de son cœur affole le mien.
J'esquisse un pas dans sa direction.
— On fait quoi ?
Seule sa respiration haletante me répond. Il reste immobile. Pétrifié. Dépassé.
— Laz, on fait quoi ?
Ma voix vire dans les aigus tant la panique m'étrangle. Tous mes sens m'inondent de signaux de détresse que je ne parviens plus à analyser.
— Laz... ?
Je pose une main sur son épaule. Il sursaute et détache son regard du cadavre pour le poser sur moi. Le sang a barré son masque blanc d'une diagonale écarlate qui dégouline sur les verres holographiques intégrés. Derrière, ses paupières papillonnent à un rythme saccadé et ses triples pupilles tremblent violemment. Il entrouvre les lèvres.
— Je ne voulais pas...
Son arme tombe sur le carrelage dans un fracas métallique. Les multiples lames qui la constituent me renvoient une image ensanglantée et fragmentée de mon visage anonyme.
— Je sais.
Ma main remonte jusqu'à sa joue. Je retiens avec difficulté le haut le cœur qui me vrille l'estomac quand le liquide poisseux réchauffe mes doigts.
— On ne peut pas rester là. Faut qu'on bouge.
Mes mots semblent chasser la torpeur qui s'est emparée de lui. Pris d'une bouffée d'adrénaline, il se redresse et regarde autour de nous.
Entre les tables et les sièges renversés, les otages étouffent des sanglots. Dans le fond, deux d'entre eux profitent de notre inattention pour tenter de s'échapper. Ils se précipitent vers la sortie, zigzaguant entre les machines à sous et traversant les hologrammes des croupiers. Des cris de terreur résonnent dans la pièce, couvrant presque le hurlement strident de l'alarme.
Ni Lazarus ni moi n'esquissons un geste pour stopper les fuyards. Un coup de feu aurait suffi, mais aucun de nous deux ne veut le tirer.
Devant notre inaction, d'autres clients du casino s'élancent à leur tour vers la sortie. En quelques secondes, c'est le chaos. Pris d'une panique aveugle, tout le monde se précipite, se bouscule. Les néons clignotants balayent la pièce de leurs faisceaux erratiques, projetant les ombres frénétiques sur les murs.
Ça ne nous ressemble pas de quitter la fête en dernier.
— Ok, la fenêtre, décide Lazarus.
Je pince mes lèvres et émets un sifflement à la fréquence de nos cyberspiders. Les araignées métalliques accrochées aux machines à sous éventrées réagissent aussitôt à l'appel. La lueur bleutée qui illumine leurs abdomens s'éteint alors qu'elles se déconnectent des flux de données bancaires et arrachent leurs membres articulés des circuits électroniques. Elles se précipitent vers nous, grimpent le long de nos jambes et enroulent leurs pattes autour de nos combinaisons, fusionnant avec les fibres synthétiques.
Les voix des forces de l'ordre, déformées par les interférences, me parviennent. Ils sont proches. Trop proches. Déjà dans le bâtiment ? Depuis quand sont-ils si réactifs ?
Nous grimpons une enfilade de marches et courons à travers l'espace de restauration pour rejoindre la large baie vitrée. Mon compagnon appuie ses mitaines contre la vitre. Deux pointes en acier martèlent la surface qui se fissure à chaque impact. Il recule, puis projette son pied en avant. Le verre vole en éclats et un courant d'air froid s'engouffre dans l'ouverture. La capuche de Lazarus glisse sur ses cheveux blancs.
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Araknides
Science-FictionLazarus et Circé sont des Araknides, des humains dont le génome a été illégalement mélangé à celui d'araignées. Depuis des années, ils vendent leur talent de voleurs au monde de la criminalité, mais tout bascule lorsqu'un braquage tourne au fiasco e...