3_ Une bande de cafards

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[ L a z a r u s ]

Le fourgon pénitentiaire est une camionnette métallique, dépourvue de fenêtres, et visiblement de tout système de suspension. Toutes les irrégularités de la route secouent l'habitacle et font vibrer les sièges. Et pour ne rien arranger aux vagues de nausée qui me tenaillent, l'odeur âcre de la sueur et des produits désinfectants emplit mes narines.

Je me demande qui, de moi ou de ma voisine de banquette, aura l'honneur de baptiser l'autre de son contenu stomacal en premier.

Le teint cireux de la femme n'a fait que pâlir depuis le début du trajet, contrastant de plus en plus avec la tache de vin de porto qui s'étend sur le côté de son visage. À trois reprises déjà, elle a porté sa main à ses lèvres tremblantes, à deux doigts de rendre son déjeuner.

Ça n'aide vraiment pas mon cas.

Circé a eu du flair en décidant de s'asseoir derrière moi, et non à côté.

— J'savais pas que les Araknides pouvaient avoir le mal de transport, commente ma voisine.

Je lui jette un regard en biais.

— Pourquoi on serait épargnés ?

Elle appuie son épaule contre la paroi et relève le menton vers moi. Des pommettes saillantes comme des récifs rocheux rehaussent ses yeux vitreux, et ses cheveux noirs sont semblables à des cordages emmêlés.

— J'ai jamais imaginé qu'une araignée puisse avoir la nausée.

— Je ne suis pas une araignée.

Un ricanement secoue ses épaules.

— C'est vrai. T'as hérité des mauvais gènes humains.

Le freinage bref du véhicule nous projette tous les deux vers l'avant. Les mains menottées, je m'accroche au siège devant moi et ravale la nausée qui grimpe mon œsophage. Bon sang, même Vez conduisait avec plus de délicatesse !

Mon cœur se serre à la pensée de la quinquagénaire. J'ai travaillé si souvent avec elle, et pourtant je réalise aujourd'hui que je ne connaissais rien d'elle. Que faisait-elle, quand elle ne servait pas de chauffeuse à des gosses comme Circé et moi ? Qui attendait son retour chaque soir ?

La camionnette redémarre. Je me radosse au dossier et ferme les yeux pour contenir mon malaise.

— Alors, qu'est-ce que t'as foutu pour être envoyé à Webgrid ? m'interroge ma codétenue. T'as l'air sacrément jeune. T'as quoi, dix-sept ans ?

Ironique venant de quelqu'un qui ne doit pas avoir cinq ans de plus que moi.

— Dix-neuf. Et accident de la route.

— C'est tout ?

— C'est ce qui a mené à mon arrestation. Et toi ?

— Trafic.

— Drogues ?

— Organes.

Je rouvre un œil, surpris.

— Vraiment ?

Elle grimace.

— Un enchaînement de mauvaises décisions. On fait tous des erreurs.

— « J'ai disséqué des corps humains, mais c'était un accident, oups », se moque la voix nasillarde de Circé, dans notre dos.

Porto se retourne pour l'aviser. Elle s'est allongée sur la banquette, ses bras menottés croisés derrière sa tignasse bicolore, et ses jambes pliées contre le mur.

AraknidesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant