8 - Dans la gueule du loup

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Rappelons qu'à lui seul, un commutateur contrôle les soupapes d'éjection de masse coronale — aussi appelé grossièrement délestage — des dix secteurs environnants. Imaginons maintenant qu'un hypothétique conspirateur accède illégalement à l'une de ces installations, disons à celle de l'anneau boréal dans le secteur 1. Avec un soupçon d'imagination et quelques connaissances en programmation quantique, le voilà en possession d'une arme capable d'éliminer toute menace aérienne dans un rayon de cent kilomètres. Bien que plusieurs mains courantes aient été déposées auprès de la loge de la Vérité pour dénoncer les problèmes de sécurité de ce dispositif archaïque, ce sujet n'a à ce jour jamais été débattu en Conseil suprême d'Irill.

No 826 de l'hebdomadaire « Voight-Kampff », article de la journaliste Maëlis Vanderberg, 1423 H.

Hannah marchait à faible allure dans la clairière fraîchement dégagée par la première ligne de maîtres-lames. Aussi loin que plongeait son regard, le paysage lui retournait cette même image d'entrelacs de branches, de plantes grimpantes et de mousse, dont la prolifération donnait l'illusion d'un parasite vorace engloutissant tout sur son passage. Hormis l'ombre d'un échangeur zéro pression, dont les traits cylindriques se devinaient à travers les frondaisons lointaines de la cime des arbres, son seul point de repère se résumait au halo éblouissant produit par les réacteurs du Naga-I, dont les jets de particules véloces venaient percuter le bouclier magnétique d'Hélios en laissant de longues traînées bleutées.

Alors qu'elle se repassait en boucle les étapes de la bataille à venir — bataille dont les termes avaient été décidés la veille au soir sur la place centrale de Niagarda —, Hannah vit Ishiva sortir d'un plant de vignes sauvages, sur le flanc gauche de l'armée. L'envie d'échanger avec la cheffe des espionnes Niagardienne se fit plus fort que celle d'assurer sa propre sécurité.

— Je dois m'entretenir avec la quatrième. Personne n'osera s'en prendre à moi au milieu de tous ces mercenaires, signifia-t-elle à son escorte composée de trois maîtres-lames vétérans.

Ces derniers, des hommes aux cheveux grisonnants, mi-longs, arboraient de nombreuses cicatrices et exhibaient des armures métalliques polies. L'épais plastron n'entravait en rien leurs bras sculptés avec lesquels ils réalisaient la danse mortelle du manjhinu en compagnie de leur double dague.

— Les ordres du troisième sont clairs, nous ne devons pas vous lâcher d'une semelle, rétorqua le plus marqué des trois de sa voix enrouée.

— Oseriez-vous contrarier votre déidre ? laissa échapper Hannah d'un air menaçant.

— Non, bien sûr que non ! laissez passer madame Freeman. Allez, allez, on s'écarte.

La doctoresse s'éloigna du centre du cortège en se faufilant entre les guerriers du troisième clan, lesquels s'excusaient à grand renfort de gestes protocolaires. Elle arriva en bordure du peloton sur une ambiance électrique. Des cris de protestation émanaient de la foule. Ici, les soldats paraissaient tendus et ne semblaient pas avoir remarqué sa présence. En scrutant les alentours, elle s'aperçut qu'un petit attroupement de maîtres-lames particulièrement agités venait de se désolidariser du cortège. Quelque chose de pas net se tramait. Elle regretta d'avoir congédié sa garde rapprochée. Soudain, une silhouette massive bondit sur elle, manquant de la faire glisser sur une protubérance de mousse turquoise. Dans la confusion, Hannah tenta d'attraper la crosse de son pistolet de facture clandestine, mais le quidam lui arracha de son étui.

— Votre Majesté, pouvez-vous dire à vos molosses d'arrêter de me braquer avec leurs flingues ?

C'était la voix monocorde du protecteur White.

— Combien de fois dois-je vous le répéter, appelez-moi par mon prénom ! Et cessez de malmener ces soldats, s'agaça la doctoresse aux joues rougies par la colère.

Le cycle d'Hélios : III. La voix des oubliésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant