Scène II
Un notaire, Arnolphe.
LE NOTAIRE
Ah ! le voilà ! Bonjour. Me voici tout à point
Pour dresser le contrat que vous souhaitez faire.
ARNOLPHE, se croyant seul, et sans voir ni entendre le notaire.
Comment faire ?
LE NOTAIRE
Il le faut dans la forme ordinaire.
ARNOLPHE, se croyant seul.
À mes précautions je veux songer de près.
LE NOTAIRE
Je ne passerai rien contre vos intérêts.
ARNOLPHE, se croyant seul.
Il se faut garantir de toutes les surprises.
LE NOTAIRE
Suffit qu'entre mes mains vos affaires soient mises.
Il ne vous faudra point, de peur d'être déçu,
Quittancer le contrat que vous n'avez reçu.
ARNOLPHE, se croyant seul.
J'ai peur, si je vais faire éclater quelque chose,
Que de cet incident par la ville on ne cause.
LE NOTAIRE
Eh bien ! il est aisé d'empêcher cet éclat,
Et l'on peut en secret faire votre contrat.
ARNOLPHE, se croyant seul.
Mais comment faudra-t-il qu'avec elle j'en sorte ?
LE NOTAIRE
Le douaire se règle au bien qu'on vous apporte.
ARNOLPHE, se croyant seul.
Je l'aime, et cet amour est mon grand embarras.
LE NOTAIRE
On peut avantager une femme en ce cas.
ARNOLPHE, se croyant seul.
Quel traitement lui faire en pareille aventure ?
LE NOTAIRE
L'ordre est que le futur doit douer la future
Du tiers du dot qu'elle a ; mais cet ordre n'est rien,
Et l'on va plus avant lorsque l'on le veut bien.
ARNOLPHE, se croyant seul.
Si...
(Il aperçoit le notaire.)
LE NOTAIRE
Pour le préciput, il les regarde ensemble.
Je dis que le futur peut, comme bon lui semble,
Douer la future.
ARNOLPHE
Eh ?
LE NOTAIRE
Il peut l'avantager
Lorsqu'il l'aime beaucoup et qu'il veut l'obliger ;
Et cela par douaire, ou préfix qu'on appelle,
Qui demeure perdu par le trépas d'icelle ;
Ou sans retour, qui va de ladite à ses hoirs ;
Ou coutumier, selon les différents vouloirs ;
Ou par donation dans le contrat formelle,
Qu'on fait ou pure et simple, ou qu'on fait mutuelle.
Pourquoi hausser le dos ? Est-ce qu'on parle en fat,
Et que l'on ne sait pas les formes d'un contrat ?
Qui me les apprendra ? Personne, je présume.
Sais-je pas qu'étant joints on est par la coutume
Communs en meubles, biens immeubles et conquêts,
À moins que par un acte on n'y renonce exprès ?
Sais-je pas que le tiers du bien de la future
Entre en communauté pour...
ARNOLPHE
Oui, c'est chose sûre,
Vous savez tout cela ; mais qui vous en dit mot ?
LE NOTAIRE
Vous, qui me prétendez faire passer pour sot,
En me haussant l'épaule et faisant la grimace.
ARNOLPHE
La peste soit fait l'homme et sa chienne de face !
Adieu. C'est le moyen de vous faire finir.
LE NOTAIRE
Pour dresser un contrat m'a-t-on pas fait venir ?
ARNOLPHE
Oui, je vous ai mandé ; mais la chose est remise,
Et l'on vous mandera quand l'heure sera prise.
Voyez quel diable d'homme avec son entretien !
LE NOTAIRE, seul.
Je pense qu'il en tient ; et je crois penser bien.
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L'école des femmes - Molière
HumorEn 1662; Molière crée la surprise avec l'école de femmes . Pourtant le sujet de cette comédie n'est pas neuf : par crainte d'être cocu, un homme, Arnolphe, fait élever une jeune fille , Agnès selon ses principes. Il pense ainsi en faire une femme à...