Chapitre 7 - Lawrence

66 14 1
                                    

— Elle était comment la tienne?

Je ne sais pas si j'ai envie de répondre à ça, c'est encore trop douloureux et chaque fois que je parle d'elle j'ai l'impression que je laisse échapper mes souvenirs. Mes mâchoires se crispent et je reste silencieux, elle ne s'en formalise pas et continue.

— Je n'avais que 5 ans quand elle est partie, pourtant j'ai l'impression d'avoir vécu 4 vies avec elle. Mes frères et mon père me parlent si souvent d'elle que parfois je n'arrive même plus à différencier mes souvenirs des leurs. Au début, je ne voulais pas parler d'elle, j'avais peur que les images, les sons, les odeurs partent avec mes mots. Mais finalement, je me suis rendu compte que plus j'en parle, moins elle me manque et plus elle est là. 

C'est peut être qui a raison, ou pas. Je n'ai jamais parlé de ma mère à qui que se soit, pourquoi le ferais -je avec une inconnue? J'essaie de me souvenir de notre première journée à la montagne mais c'est trop flou, mes plus vieux souvenirs remontent vers mes 10 ans, pourtant je sais qu'elle m'a appris à skier bien avant mais je ne me rappelle plus.

— Elle ... elle était maniaque, elle contrôlait tout, tout le temps. Elle planifiait tellement notre vie que je devais lui demander l'autorisation de sortir au moins 3 jours avant pour qu'elle puisse tout réorganisée.

Je souris tristement en repensant à ça. C'était tellement énervant quand j'étais enfant et aujourd'hui je donnerai tout pour qu'elle remette de l'ordre dans ma vie.

— Elle était intelligente, douce et très calme. On passait toutes nos vacances d'hiver chez mon oncle dans le Colorado. Elle m'a appris à skier alors que je savais à peine marcher. Le ski c'était la seule chose un peu folle dans sa vie, la seule chose qu'elle ne pouvait pas totalement contrôler. Ca et sa mort, je soupire. Elle a eue un accident de voiture, un conducteur ivre, j'avais 14 ans. 

— Du coup tu es devenu suicidaire en faisant des saltos!

Je rigole mais elle n'a pas complétement tord.

— Disons que je me suis dit qu'il fallait profiter de la vie à 100% sans se poser de question, parce qu'on ne sait jamais de quoi demain sera fait. Mais, oui, j'ai commencé le freestyle juste après sa mort.

— Tu as toujours vécu dans le Colorado?

— Non, non. On vivait au Texas.

— Tu as des bottes et un chapeau de cowboy? 

Je la regarde ahuri face à sa réflexion mais ne peut m'empêcher de rire en voyant son expression excitée sur le visage. On dirait qu'elle vient d'apprendre la meilleure nouvelle de sa journée.

— C'est cliché ce que tu dis.

— Oh ... tu n'en n'as pas alors?, rétorque t elle déçue.

— Si, j'avoue dans un murmure.

Elle saute de joie comme ce soir où elle a remporté notre duel ridicule de regard.

— Je peux te voir avec, s'il te plaît, s'il te plaît, s'il te plaît, me supplie t elle à genoux. 

— Même pas en rêve Puppy! Tu vas être intenable, j'en suis sûr!

Elle rigole avant de se rasseoir, un peu plus près de moi. 

— Où est ce que tu as appris à parler aussi bien Français?

— Toujours ma mère! Elle m'a obligé à regarder toutes les saisons de "Sous le soleil" en VO pour apprendre le français au cas ou elle gagnerait à la loterie. Elle rêvait de visiter Paris.

— C'est horrible! 

— Ouais, j'avoue! Mais j'étais bien content quand j'ai fait mes premières compétitons dans les Alpes.

— Tu vis où maintenant?

— Je bouge sans arrêt. J'ai toujours la maison de ma mère au Texas mais je n'y suis que quelques mois dans l'année. Et toi?

Ma réponse a l'air de l'avoir dérouté. Mon rythme de vie est particulier, c'est en partie pour ça que je suis célibataire. Je me demande bien ce qui m'a pris de lui donner RDV aujourd'hui. Nos vies ne sont pas compatibles.

— Je vis à Paris depuis quelques mois, mais je retourne très souvent voir mon père et mes frères à Toulouse, j'ai grandit là bas.

— Le soleil, évidemment.

— Evidemment! Il faudrait être cinglé pour préférer ça à une plage de sable chaud, dit elle en prenant un peu de poudreuse entre ses doigts. 

— Tu as l'air très fusionnel avec eux.

— Comment tu as su qu'ils étaient mes frères? On ne se ressemble pas.

— Vous avez les mêmes yeux, je la contredis. Et puis ils ne te regardent pas comme une fille qu'ils voudraient mettre dans leur lit ...

Pas comme moi ... mais ça je m'abstiens de le lui dire. 

— Les gens pensent toujours que je sors avec l'un des deux, parfois même avec les deux.

— Ils ne voient que ce qui les arrange. Les gens s'intéressent rarement à toi pour les bonnes raisons. 

— C'est vrai, quand on vient me parler c'est généralement pour pouvoir approcher l'un de mes frères.

— Ils font quoi?

— Rugby. 

— Je compatis! On me demande le nombre de médailles que j'ai remporté avant mon numéro en soirée alors ...

On passe encore une bonne heure à discuter de nos vies respectives. Mes voyages à l'international, son travail à Paris, ville qu'elle n'apprécie pas tellement. Nous évitons les sujets sensibles concernant nos vies amoureuses respectives parce qu'il est clair que ni l'un ni l'autre n'a l'intention ni même l'envie de se lancer dans une relation sérieuse encore moins aussi compliquée.  

Daniel n'arrête pas de m'appeler, il est temps de retourner à la réalité. On redescends au pied de la station. Daniel m'attend, les rides au coin de ses yeux sont annonciateurs de mauvais traitement.

— Mal au genou, hein? Petit con! Va me chercher tes skis et plus vite que ça!, hurle t il attirant tous les regards vers nous.

Je recouvre rapidement mon visage de mon cache cou mais trop tard. J'entends déjà les murmures et cris d'hystérie. Une horde de groupies se jettent sur moi pour avoir des photos et Sarah se retrouve éloignée malgré moi. Je vais pour m'excuser mais c'est trop tard, elle est déjà en train de s'éloigner. Je ne voulais pas que ça se termine comme ça.  

 

 

 

Snowflake & Love StoryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant