Chapitre 3

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Where’d All the Time go - Dr. Dog

Rose

Je ne vais pas y arriver. Je ne peux pas. Je n’y arrive pas. Je n’y arrive plus.
Je croise mon regard à travers le miroir des toilettes de cet hôpital que je déteste déjà, et essuie mes dernières larmes. Tout à coup, le visage d’Aaron réapparaît dans ma tête. Ses yeux hazel à peine plus foncés que les miens et son sourire réconfortant. Cet inconnu qui m’a plus aidé en cinq minutes que ma mère dans toute mon enfance.
Je profite du fait qu’il n’y ait personne pour extérioriser mes dernières angoisses. Mon papa, c’est tout ce que j’ai S'il lui arrive quelque chose, je ne le supporterais pas.
Mais j’ai besoin de me ressaisir. Je me redresse, mets mon dos droit, prête à affronter cette fin de journée. Je ne sais pas ce qu’il se passe, ni ce dont mon père souffre. Honnêtement, je m’attends au pire, ça sera moins douloureux si je m’y prépare. Je passe un petit coup d’eau sur mes paupières et prends mon sac qui est posé sur le lavabo blanc. Cet endroit n’est pas très grand, seulement trois cabines pour femmes. Les portes sont rouges, comme celles qu’il y a à la piscine.
La chambre 207, voici ma destination. Je marche pour sortir de là et je me retrouve dans un couloir avec des infirmiers qui marchent rapidement, des papiers dans les mains. Ça sent fort, un mélange d’odeurs que je ne saurai décrire, je dirai un mélange d’alcool et de produits ménagers. Depuis toute petite, mon père a toujours été mon pilier et l’épaule sur laquelle je pouvais compter. Il n’a jamais crié sur moi et mon frère et pourtant, parfois, on le méritait vraiment. Je repense à tous ces souvenirs avant de réaliser que je suis déjà devant cette fameuse porte. Je la fixe sans bouger. Une boule au ventre se forme et je me fais violence pour ne pas pleurer à nouveau. Ça suffit, j’ai tellement pleuré, alors que, si ça se trouve, ce n’est pas nécessaire. Il est peut-être juste tombé au travail ou il a fait un petit malaise. Je rassemble alors tout le courage qu’il me reste et réussit à toquer. J’entre dans la pièce et pose immédiatement mes yeux sur mon modèle.
– Coucou papa, comment vas-tu ?
– Ma chérie, tu es là. Aller, viens faire un gros câlin à ton vieux père.
Un petit rire me parvient et je découvre Jules assis à côté de lui. Il secoue la tête et croise les bras sur sa veste en cuir. Ma mère, quant à elle, est assise dans le coin de la pièce et regarde par la fenêtre.
En observant la chambre, je tombe nez à nez sur Aaron et automatiquement, un sourire sincère franchit mes lèvres, qu’il me rend avec un hochement de tête. Ça m’étonne qu’il soit là, mais je ne me pose pas plus de questions. Debout, à sa gauche se trouve un homme plus âgé qui doit être le médecin. Ils sont tous les deux très sérieux et semblent attendre que je m’assoie pour me dire quelque chose. Oula, ça n’annonce rien de bon tout ça.
Je m’avance alors vers mon père et l’encercle de mes deux bras en déposant un baiser sur sa joue. Elle picote un peu à cause de sa petite barbe, mais je ne dis rien et lui lance un regard inquiet.
– Qu’est-ce qu’il se passe ?, chuchoté-je dans son oreille.
– Rose, reprit-il doucement, nous devons t’informer de quelque chose d’important. Je vais laisser le docteur Ortega t’apprendre la nouvelle.
Je ne dis rien de plus et me tourne vers mon interlocuteur avant de prendre une chaise et de dire bonjour.
– Bonjour mademoiselle, me répond-il, nous avons malheureusement diagnostiqué un cancer des poumons de type 1 à votre père, mais il a de grandes chances de s’en sortir puisque nous l’avons su assez tôt.
Il me semble que cet homme continue de parler, mais je n’écoute plus. Mon cerveau s’est mis sur pause. Je refuse cette information. J’ai directement envie de fuir, mais je ne peux pas. Rien que parce que je n’ai pas le droit d’abandonner mon père, ni mon frère. Perdue dans mes pensées, je reviens à la réalité quand la voix froide de ma mère me demande d’aller chercher de l’eau. Je fronce les sourcils, ne comprenant pas pourquoi elle me demande cela maintenant, avant de me rendre compte qu’Aaron et ce docteur Ortega sont partis. Je cligne des yeux rapidement pour remettre les pieds sur terre et me lève difficilement. Je sens que je vais mettre du temps à digérer la nouvelle.
– Oui, c’est bon, j’y vais, dis-je perturbée.
– Merci, ajoutent Jules et mon père à l’unisson.
Je voulais adresser à mon père quelques mots, mais apparemment, ma maman n'est pas de cet avis. Ce n’est pas grave, je lui parlerai tout à l’heure, enfin, j'espère.
Me voilà dans la cafétéria après avoir galéré pendant cinq minutes à trouver ce fichu réfectoire alors qu’il était au même étage.
J’aperçois au loin un distributeur et avance à grandes enjambées jusqu’à lui. Cette cantine est blanche, comme tout cet hôpital au final. L’éclairage est beaucoup trop fort à mon gout. De larges tables rectangulaires sont alignées avec des bancs qui n’ont pas l’air confortable du tout. Le bruit de fond causé par les conversations animées m’apaise un peu. Je renifle l’air et suis partagée entre une odeur de poulet ou de choucroute.
Je regarde les prix d’une bouteille afin de sortir la somme d’argent qu’il me faut, quand soudain, une épaule se cogne fortement à la mienne.
– Oh, excusez-moi, je ne regarde pas où je vais, dit un homme.
– Eh bien, vous devriez peut-être commencer, dis-je sèchement.
Il semble dérouté par ma remarque et lève les mains en l’air en signe de paix. Il porte une blouse blanche, avec le petit stylo des médecins qui dépasse de sa poche. Il a les cheveux très courts, presque rasés et la peau métisse.
– Non, vraiment, je suis désolée. Vous n’êtes pas la première personne qui me le dit. Mon meilleur ami, Aaron, n’arrête pas de me dire que je ne marche pas droit.
À l’entente de ce prénom, je deviens plus intriguée. Est-ce qu’on parle du même Aaron ? Je me calme un peu et le laisse finir sa tirade.
– Je vais essayer de faire attention, ne vous inquiétez pas ! Vous alliez acheter quelque chose, vous savez quoi ? Je vous l’offre, histoire de me faire pardonner. En plus, je portais des semelles, petit.
Je ris un peu et trouve que sa spontanéité est étonnante et drôle.
– Merci, mais ce n’est pas la peine, vous êtes pardonné, dis-je en souriant.
– Sérieux ? Vous me rassurez, non vraiment, je m’excuse de la part de mes pieds.
Il secoue la tête d’une manière théâtrale et je rigole un peu plus fort.
– Et vous vous appelez comment ?, demandé-je en croisant son regard.
– Alex, et vous ?
– Rose.
– Bon, je vais vous laisser, Rose, le devoir m’appelle.
– Oui, pas de soucis. Au revoir.
– Bye bye, finit-il en secouant la main.
Après cette interaction, j’achète mes boissons et me dépêche de retourner auprès de mon père. Je reprends le même chemin en le détaillant un peu plus. Je n’ai jamais apprécié les hôpitaux, sentiment qui ne cesse de se renforcer. Je ne les avais pas fréquentés. Cependant, ce n’est plus pareil. Maintenant, j’ai l’impression d’étouffer à chaque pas. J’ai peur. J’ai peur, car j’ai l'impression qu’on ne peut rien contrôler ici. Chaque coin se ressemble. Les portes entrouvertes me permettent de voir des patients se faire soigner, d’autres dormir ou manger. Je peux entendre des bruits lointains comme des scanners ou des sonneries de téléphone. Je rejoins la 207 très vite et enfonce la poignée.
C’est mon jumeau, Jules, qui vient m’accueillir. Il saisit une bouteille et boit à grandes gorgées. J’en donne alors une à ma mère et m’approche du lit de mon père. Je lui lance un regard, de sorte qu'il comprenne que j’ai des choses à lui dire. Il penche un peu la tête et s’empare de l’eau. Je prends cela comme un feu vert et m'assieds à côté de lui. Il me chuchote une phrase pour s’assurer que je vais bien.
– Et toi, papa, tu vas bien ? Comment tu te sens ? Tu n’as pas trop peur ?, demandé-je inquiète.
– Je suis obligé de tenir ou vous me le ferez regretter.
Son sarcasme m’étonnera toujours. Je le remercie, sans lui dire, de prendre les choses à la légère. Ça me soulage et je suis sûre que mon frère aussi. Je rigole à ses propos. J’ai tant de choses à lui dire.
– Rose, me prévient-il, je vais bien. Je suis solide. Quoi ? Tu doutes de mes capacités ?
– J’oserai pas.
Nous sourions, complices, avant d’être interrompus par ma mère.
– Rose, il est tard, rentre chez toi.
Je roule des yeux face à son ton dénué d’émotions. Elle pourrait au moins faire semblant de s’intéresser à moi. Je ne cherche pas à argumenter, elle aura le dernier mot. Alors, je me lève sans un mot, embrasse mon père et le prends dans mes bras. Je fais de même pour Jules et le prends par les épaules.
– On s’appelle demain, Jules, ça te va ?
– Oui, prends soin de toi, je t’aime et fais attention.
Jules n’a jamais été pudique avec ses émotions. Il se sent à l’aise avec les mots, et c’est tant mieux pour lui.
– Moi aussi, bisous, finis-je en prenant mes affaires.
Je récupère mon sac noir à bandoulière avec mon manteau que j’avais posé aux pieds de mon père. Je quitte la chambre sans un mot de plus et m’apprête à rentrer chez moi.

***

Je franchis l’entrée de mon appartement et je me sens envahit par deux tornades me sautent dessus. Une rousse et une brune. Mes deux meilleures amies, mais également colocataires, me regardent avec curiosité et un peu d’inquiétude.
– Rose, on t’attendait ! Tu ne répondais pas au téléphone, s’exclame mon amie aux cheveux de feu attachés en un chignon défait.
– T’es belle, Aurore, dis-je sans réfléchir.
– Merci, Rose, toi aussi, mais t’as l’air fatigué.
Je hausse les épaules en m’enfermant dans les bras d’Ava. Elle ne cherche pas à comprendre et m’enlace en retour.
– Je suis désolée pour vos messages, je l’avais mis en silencieux.
Et pour illustrer mes propos, je désigne mon smartphone que je sors de ma poche.
– Tu es d’accord pour nous raconter ? On va s’installer sur le canapé pour que tu te confies.
– Seulement si tu as envie,rajoute Ava.
Je hoche la tête en m’écartant d’elles pour enlever mes chaussures.
– Allez vous installer, j’arrive.
– Tu vas bien ?
Je me tourne en direction de la voix, qui n’est d’autre qu'Ava, et affirme que oui. Elle ne semble pas convaincue, mais me sourit gentiment avant de marcher vers le salon. Je sais qu’elles m’aideront, mais ma vie vient de changer en quelques heures. Il faut que je me rassure, ça va bien se passer. Mon père est courageux et solide. Je n’ai pas à m’en faire. Nous sommes avec lui et tout va bien se passer. N'est-ce pas ?

À la prochaine...

Le chemin de nos peursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant