Sherwood Hope et Jack Wilson

8 1 11
                                    

« Enfantin, mon cher Wilson. Nous avons affaire à un tueur en série. »

Le dénommé Wilson, qui arpentait l'instant d'avant la petite salle à manger à la décoration aussi désuète que chargée, dans laquelle la logeuse du petit immeuble avait découvert la dépouille, se tourna aussitôt vers son acolyte, éberlué par ses conclusions qu'il jugeait, comme à chaque nouvelle enquête, bien trop hâtives, quoique bien souvent justes, à son grand désarroi.

« Un quoi ?  Plaît-il ? » répondit-il, à deux doigts de s'étouffer avec une gorgée d'Earl Grey encore trop chaud et pas assez infusé, que la vieille dame avait eu la gentillesse de lui préparer. Jack posa sa tasse précipitamment sur un guéridon garni d'un napperon poussiéreux au goût aussi hasardeux que le reste du logement, et toussa aux larmes, ce qui laissa Sherwood Hope de marbre. Celui-ci poursuivit son raisonnement, imperturbable.

« Un tueur en série, mon vieux. Rendez-vous à l'évidence. Il est très clair qu'il s'agit d'un meurtre, et que tout a été mis en scène. » Il regarda sa montre à gousset, et soupira, ostensiblement impatient. Il n'aimait pas perdre son temps avec des futilités ou des choses qui tombent sous le sens. Était-ce sa faute, à lui, si cela échappait au commun des mortels qu'il les surpassait intellectuellement ?

« J'ai l'impression d'avoir déjà entendu ça... » répondit Jack d'un air semi-troublé, semi-moqueur, tout en essuyant ses larmes avec un mouchoir. Il toussa à nouveau, aussi fort qu'un tuberculeux en pleine crise.

Il aurait pu dans la foulée lui demander s'il devait se rendre à l'évidence sans passer par la case « départ » et sans prendre les £200, mais à cette époque, le jeu de Monopoly n'avait pas encore été inventé par Elizabeth Maggie. Il lui faudrait attendre encore une vingtaine d'années, au tout début du XXe siècle. Sherwood n'avait de toute façon aucun humour, cela aurait été peine perdue pour Jack de se hasarder à faire un trait d'esprit qui serait bien trop immature et idiot pour son incorrigible acolyte.

« Peu importe, lança Sherwood avec un regard noir, coordonné avec son ton déplaisant, ce qui était parfaitement habituel. Nous devons interroger tout le voisinage. Qui a vu qui, quoi, quand..., énuméra-t-il d'un air agacé, avec un geste pressé. Vous connaissez sûrement la chanson, n'est-il pas, inspecteur Labelle ? » demanda-t-il à l'intéressé, sans en attendre une quelconque réponse, et sur un ton encore plus désagréable, si tant-est que cela pouvait être possible.

« Chief inspecteur, s'il vous plaît, Hope ! le reprit l'inspecteur, tout aussi sèchement. Oui, oui, merci, je sais... », poursuivit Labelle sur un ton las et un peu vexé, alors qu'il prenait en note les premières observations de la scène de crime.

Le chief inspecteur Labelle avait une belle carrière derrière lui : il avait gravi les échelons au sein de Scotland Yard depuis qu'il avait terminé son service militaire, il y a déjà bien longtemps. Des meurtres, il en avait vu plus que de raison. Et ce ne serait sûrement pas cet idiot arrogant de Hope, que son supérieur hiérarchique lui avait collé dans les basques en tant que « consultant » – un bien grand mot –, qui allait lui apprendre le métier.

Ruminant des insultes grivoises dans sa moustache qui avaient ou n'avaient pas de lien avec les activités hypothétiquement répréhensibles ou non de la maman de Sherwood, il prit un instant pour se composer un visage plus neutre afin d'appeler son second, pour lui transmettre les ordres. Les équipes de constables, de detective constables et de sergents devaient se déployer rapidement dans le quartier, interroger chaque habitant et passant sans exception, et ce, sur un rayon de deux pâtés de maisons. Si cela avait été possible, il aurait même fait interroger les chats de gouttière, les rats d'égouts et les chiens errants. Le moindre fait, même le plus insignifiant, devait être consigné dans les moindres détails, et cette affaire devait être bouclée au plus vite, pour ne pas dire pour hier.

Gentlemen bouchersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant