CHAPITRE 1

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Assise sur le lit de mon amie, le sol devient soudainement très intéressant, tandis que je vois ma boule de poils encrée dans un sommeil profond, totalement étendue sur le parquet clair de la chambre. Au même moment, la brune, assise quant à elle sur la chaise roulante de son bureau, un genou replié sur cette dernière et le menton posé dessus, débute l'explication d'une énième partie de l'exposé que nous présenterons le lendemain. Mon estomac se tord à cette idée.

J'ai toujours été à l'aise en ce qui concerne les présentations orales. Du moins, c'est ce que je me suis toujours efforcée de faire croire. C'était le cas à un moment de ma vie, c'est certain, mais maintenant ? J'ai une peur immense de m'exprimer devant un auditoire. Je sens le regard de Cléo se poser sur moi et je la vois froncer intensément les sourcils ;

- Bordel mais t'écoutes rien de ce que je te dis ! Elle feint l'agacement mais j'entends l'inquiétude dans sa voix ; je ne peux rien lui cacher.

- Mais si ! je dis, je suis tout ouïe !

Je souris de toutes mes dents, espérant la faire rire, ce qui est un franc succès. Je me lève, me ravise aussitôt en sentant mon téléphone vibrer sur la couverture. Je m'apprête à découvrir le nom de l'individu mais je tombe plutôt nez à nez avec une inscription particulière ; celle d'un numéro masqué. Je raccroche et ignore l'appel. Cependant, l'individu a l'air de vraiment vouloir me joindre, puisqu'il me recontacte aussitôt. Je raccroche de nouveau instantanément et prend soin d'activer le mode avion. Nous avons un exposé à réviser... Et ce n'est pas avec une multitude d'appels masqués que je vais y arriver.

J'agrippe de la main gauche le pouf proche du lit, et le traine jusqu'au bureau de Cléo, qui m'observe. Elle est sur le point de parler lorsque je m'exclame ;

- Bon on le bosse cet exposé ? Les Dieux ne le bosseront pas pour nous !

Ma copine ricane à l'évocation de mes croyances, puis hoche la tête.

Elle, qui a visiblement compris que je n'avais strictement rien écouté depuis que nous sommes montées dans sa chambre, s'affaire dans l'explication de chaque minuscule détail de sa création. Elle a tenu à cœur d'écrire et de travailler notre sujet seule ; elle sait pertinemment que j'ai beaucoup de mal avec ce qui est rédaction, recherches et tout ce qui est de ce registre là. Nous avons alors fait un pacte ; elle ferait la partie rédigée dans son entièreté, et je parlerai la plupart du temps pendant notre présentation orale.

Ce qui ne m'arrange pas plus finalement, je n'aime ni écrire, ni parler. Super. J'approuve tout de même lorsqu'elle me rappelle ce point ci et l'écoute me raconter la superbe histoire de la guerre civile d'Espagne, mais, bien que les talents historiques de ma meilleure amie attirent mon attention, je n'en suis pas moins désintéressée.

Nos révisions durent l'heure et demie qui suit. Tant nous sommes concentrées et soucieuses de bien faire, nous nous regardons choquées quand sa mère nous appelle pour manger.

Mon estomac se serre et l'appétit que je feignais de ne pas ressentir déguerpit instantanément. Je prie les Nornes d'effacer ce sentiment de culpabilité et de peur panique qui s'immisce dans mes entrailles le plus profondément possible lorsque je prends place à la table de la cuisine, entre Cléophée et sa petite sœur.

Mes prières semblent vaines, car lorsque mon assiette arrive devant mes yeux, je sens chaque petit fragment de courage qui persistait disparaitre. Ma vue se floute et ma jambe tremble instantanément. Je mange. Je mange lentement, difficilement et très peu mais je tente malgré tout de prendre part à la discussion lorsqu'on me demande comment s'est passé ma journée.

Dieux tout-puissants... L'enfer.

Mon téléphone vibre sur mes genoux et je m'apprête encore une fois à raccrocher mais je vois qu'il s'agit vraisemblablement de ma mère, qui doit très certainement s'inquiéter de mon absence.

Je m'excuse très brièvement, emprunte la porte par laquelle je suis rentrée quelques heures auparavant et pose le téléphone tout contre mon oreille.

- Oui maman ? j'entends déjà sa réprimande arrivée.

- Oui Liv ? Peux-tu premièrement m'expliquer où tu es ?

- Je suis chez Cléo, je réponds instantanément. Pour-

- Rentre immédiatement.

Je suis confuse quant à son ton glacial.

- Quoi ? Mais pourquoi ?

- Tu pourras peut-être mieux m'expliquer où tu étais aujourd'hui ? elle marque une pause de quelques instants durant lequel je cherche une raison à ses dires. Enfin, ou plutôt pourquoi tu n'étais pas au lycée. Elle insiste sur le « pas » et raccroche aussitôt.

Mon visage devient livide. Ma mère m'avait mise en garde, et j'ai préféré omettre sa prévention. Merde, merde, merde... Cette fois c'est sûr, elle va m'obliger à y aller. Je rentre dans la bâtisse et fais signe à la brune de me suivre depuis l'entrée.

Nous arrivons toutes les deux dans sa chambre. Je me presse de remettre le harnais à ma chienne, que je réveille par ailleurs sans ménagement. Je lève la tête vers Cléo, qui détaille de ses yeux le moindre de mes faits et gestes, une incompréhension gravée sur le visage.

- Mais qu'est-ce que tu fais Liv ?

- Ma mère.

- Quoi ta mère ? dit-elle en posant sa main sur mon bras pour calmer ma précipitation.

- Elle sait que j'ai séché les cours aujourd'hui, elle va me détruire.

Le visage de ma meilleure amie passe de l'incompréhension à la compassion, qui la fige complètement sur place. Elle comme moi savons ce que cela signifie. Je plante un baiser sur sa joue, dévale les escaliers à vitesse grand V, remercie sa famille et plante un autre baiser sur la joue de sa petite sœur. Je sors la demeure, enfourche mon vélo et me retourne, observe la maison et en un soupir, me voilà partie. Une boule se reforme au fond de ma gorge quand je pense à ce qui m'attend quand je rentrerais chez moi...



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