Crescendo [Dark Romance] | SOUS CONTRAT - ÉDITIONS ADDICTIVES

Chapitre deux : Tempo et percussions

Isée.

— Tu te sens bien ?

Je cligne plusieurs fois des cils pour revenir sur terre. Jun, ma collègue, est penchée sur le comptoir de l'accueil et ses sourcils froncés, aussi noirs que ses cheveux, m'indiquent que j'ai dû sombrer dans mes souvenirs plus longtemps que je ne l'ai pensé. J'affiche mon meilleur sourire forcé.

— Ouais, pourquoi ?

Elle m'indique ma joue et je grimace. Merde ! D'un revers de main rapide, j'essuie la larme solitaire que je n'ai pas sentie couler. Je m'assure d'une œillade que personne n'a été témoin de cette pitoyable scène et lui répète que tout va bien, afin qu'elle puisse repartir auprès de nos patients. Une fois la tâche accomplie, je pousse le soupir le plus long de l'humanité et laisse mon front percuter le bureau. Sans déconner, il faut vraiment que j'arrête de penser à cette partie de ma vie au travail, ces souvenirs affreux me hantent suffisamment la nuit. Heureusement que papa n'a pas assisté à ça, il m'aurait obligé à prendre un jour de repos et je déteste ne rien faire de mes journées.

Je suis bien mieux au dispensaire médical à m'occuper de tous ces abrutis de mafieux.

Certes, ils n'ont pas la lumière à tous les étages, mais je dois avouer que la médecine de guerre est un art que j'apprécie particulièrement. Rien de tel que de retirer des balles ou faire en sorte qu'un type ressorte avec un beau moignon. Il faut dire que papa fait en sorte de me léguer tout son savoir en un temps record, ces derniers temps. L'avantage de vivre dans un cartel, c'est qu'aucun diplôme n'est obligatoire pour exercer. Tant que tu fais correctement ton travail, tu n'as aucun problème. Et qui est le mieux placé pour apprendre avec passion et pédagogie un métier aussi complexe ? Lincoln Griffin (papounet pour les intimes), médecin en chef des Hell's Lake, qui a ouvert il y a plus de vingt ans un dispensaire au sein de la ville, laissant la gestion de l'hôpital à ses collègues. Ainsi, les nombreux touristes ne sont pas mélangés avec les membres de la pègre. Il en va de leur dignité, je présume. Le personnel est choisi avec soin par papa et Cole lui-même. Autrement dit, les soins prodigués ici sont les meilleurs et ils sont exclusivement réservés aux Hell's Lake.

Comme s'ils n'avaient pas suffisamment de privilèges, ces enfoirés.

Avec le temps, j'ai réussi à me faire partiellement une place respectée. Etant une femme et, une "amie de" ou une "fille de", ce n'est pas une mince affaire. Les Hell's ont un égo démesuré, se permettent une main au cul décomplexée et n'hésitent pas à sortir des propos salaces à tout bout de champ. M'enfin, le dernier qui a essayé s'est fait soulever par mon père, qui l'a pris en flagrant délit. Je n'ai même pas eu le temps de réagir. Tout le monde sait qu'il ne faut pas chercher le grand Lincoln Griffin. Mon père a beau être aussi doux qu'un agneau la plupart du temps, il peut s'avérer être presque aussi dangereux que Cole Clarke. J'ai entendu de nombreuses rumeurs à son propos, mais je n'ai jamais cherché à les confirmer. Je crois qu'au fond, mon cœur de petite fille n'a pas envie d'admettre que mon père a été un tueur de sang froid avant de se vouer corps et âme à la médecine à la mort de Luna, sa femme.

— Isée, prépare-toi, il y a eu une fusillade à la lisière de la ville, m'informe Jun, ma collègue infirmière, après avoir raccroché le téléphone.

Fais chier.

Je hoche la tête et bip mon père, qui devrait bientôt en avoir fini avec sa dernière opération. Pour ma part, je suis prête ! L'adrénaline pulse dans mes veines, étouffant l'angoisse qui essaie de naître en moi. J'espère sincèrement que Luca n'était pas à cet endroit. Je stresse à chaque fois qu'il doit partir en mission, alors, quand un gang adverse attaque, je prie de tout mon cœur des Dieux auxquels je ne crois pas. Je ne sais pas ce que je ferai si je venais à le perdre, lui aussi.