Chapitre 4: La retenue

3 0 0
                                    

Les deux dernières périodes me séparant de la retenue me semblent interminables. Prise d'anxiété, je tape furieusement du pied sur le sol d'une cadence endiablée durant la dernière. Je me retrouve incapable de me concentrer sur mes travaux d'anglais et ne peux m'empêcher de laisser mon esprit divaguer à toutes sortes de scénarios impensables sur l'issue de ce que sera mon début de soirée en compagnie de Gabriel Gagné et de mes deux acolytes.

Je prie cependant le ciel qu'ils soient présents avec moi; me connaissant, je sais très bien qu'il aurait été pratiquement impossible d'aborder l'élu de mon coeur sans motivation outre que celle d'un autre.

"Incapable", je ne cesse de me répéter. Peut-être bien.

Est-ce que ça me déçoit? Sans l'ombre d'un doute. Vais-je faire quoi que ce soit pour y remédier? Je ne crois pas. Oui, j'ai bien conscience que ma vision des choses peut sembler égoïste, mais c'est comme ça. Je n'ai jamais été douée pour affronter les choses en face. Je préfère les contourner, ou simplement les ignorer. Elles finiront sûrement par partir.

C'est le son caractéristique de la cloche d'école qui me fait revenir à la réalité. Cette composition simpliste que j'ai appris à mépriser, signifiant autant le début d'une longue journée d'école que la fin de celle-ci, me fait à présent me lever d'un bond, presque dans la hâte de me présenter en retenue. Je laisse échapper un soupir sarcastique. Quelle ironie.

Nerveuse, je m'empresse de mettre mes écouteurs dans mes oreilles avec des gestes brusques, presque en tremblant, avant d'empoigner mon cellulaire dissimulé dans la poche arrière de mes jeans évasés bleus foncés.

En un instant, Tame Impala résonne dans mes oreilles. Quoi de mieux après une journée éprouvante?

Tenant fermement mes cahiers dans mes bras, comme si je les étreignaient, je me dirige le plus vite que je peux vers les escaliers menant vers la caserie, zigzaguant entre les élèves distraits et euphoriques, tous heureux de quitter l'établissement pour la fin de semaine.

La plupart.

Bien entendu, les escaliers sont déjà bondés, et je dois m'incruster dans le peloton pour accéder à ceux-ci. Des effluves de sueur, déodorant Axe et de parfum féminin à bas prix emplit mes narines. J'esquisse une moue dégoûtée. Vivement que je sorte de là. Le train-train est lent, tout le monde me tape sur les nerfs, et dans ma descente, je distingue même différents items scolaires jetés de plus haut. Visiblement, la joie se manifeste de toutes sortes de formes. La mélodie envoûtante de Eventually  ternit dans mes oreilles, couverte par les exclamations incessantes des élèves.

Lorsque j'atteins enfin le niveau 1, je me précipite vers mon casier pour aller déposer mes choses d'anglais afin de ne garder que ma trousse à crayons, en prenant soin de ne pas me faire bousculer au passage. Mettant enfin la main sur mon cadenas et tournant frénétiquement les petits numéros métalliques, je distingue rapidement la fragrance particulière de ma meilleure amie derrière moi. Un parfum fruité, plus particulièrement composé d'arômes de fraise.

- Ouf! C'est impossible de se frayer un passage dans les couloirs, constate Anna alors que je me tourne vers elle.

Elle passe dramatiquement sa main délicate dans ses cheveux bruns agrémentée d'ongles à la française, tentant de garder un minimum de sa fraîcheur dans ce bordel. J'esquisse un sourire sarcastique.

- On se croirait en pleine jungle. Faut être le roi de la forêt, ou tu te fais écrabouiller!

Anna étouffe un petit rire délicat. Toutefois, je suis la seule à savoir qu'il ne s'agit là pas de son esclaffement naturel, mais bien d'un élaboré pour sembler plus gracieuse. Classique Anna Huot. Oh, comme j'aimerais qu'elle se permette d'être elle-même avec d'autres personnes que moi...

Dans un univers près de chez vousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant