Je ne peux pas croire que je me trouve ici. Je voudrais être n'importe où plutôt que devant cet immeuble qui menace de transpercer les nuages. Il pleut dehors. Ce n'est pas grave. Je préfère avoir mes habits trempés que rentrer maintenant. Je lève les yeux pour observer les fenêtres du dernier étage. Il fait nuit mais aucune lumière n'est allumée. Pourtant je sais qu'elle est là. Je ne me sentirais pas comme ça si elle n'était pas là. Je pensais qu'en revenant ici je ne reconnaîtrais rien, que la peinture aurait changé, que les terrasses se seraient fissurées. C'est vrai. J'avais raison. L'immeuble a été entièrement refait. Je pensais, non, j'espérais qu'en revenant ici les souvenirs ne m'avaleraient pas trop. La voisine qui se plaint parce qu'elle fait trop de bruit. Mes petites mains qui tentent d'arracher la bouteille de son emprise. Ethan qui lui parle doucement pour essayer de la calmer. Il était le meilleur d'entre nous. M'imaginer devant elle sans sa présence à mes côtés me rend folle. Je ne sais pas ce que je ressens le plus en ce moment. De la peur ou de la haine ? Je revis ces moments dans ma tête. Je me répète à quel point il me manque. Reviens s'il te plaît. Aide moi à la supporter. Je m'étais promis de partir et de ne jamais revenir. Mais elle a le droit de savoir, pour ce qui s'est passé ce soir là à Londres. Il aurait aimé qu'elle le sache. Alors je vais monter dans cet immeuble. Tout lui expliquer. Et je repartirais. Je ne vais pas m'éterniser. Je n'en ai aucune envie. Devoir ne serait ce que me présenter devant elle me fait déjà assez mal. Qu'est ce que je vais lui dire en arrivant d'ailleurs ? Peut être qu'un bonjour suffirait. On est devenues des inconnues avant même de se connaître réellement . Des inconnues qui se rappellent de chacun des traits du visage de l'autre. Elle se souvient des miens. Pas vrai ?L'ascenseur est en panne. Vu son état je devais encore vivre ici la dernière fois qu'il a fonctionné. Je prends les escaliers, une marche après l'autre. J'essaie de me concentrer sur mes pas grinçants plutôt que sur le stress qui m'assaille. Entre chaque pallier, il y a la musique, les rires des enfants, les meubles qu'on déplace. Je suis maintenant au 4ème étage. C'est ici que vit ma voisine. J'hésite à aller la saluer. Elle n'a eu aucune de mes nouvelles depuis que je suis partie. Elle m'avait donné son numéro mais j'avais décidé que je ne voulais plus avoir aucun contact avec mon ancienne vie. Alors je ne l'ai jamais rappelée, pas même un message. Ce n'est pas que l'envie me manquait, au contraire. Mais je savais que si je continuais à échanger avec elle j'aurais sûrement eu envie de revenir et ce n'était pas une bonne idée. Elle ne méritait pas ça, que je l'abandonne de cette façon après tout ce qu'elle a fait pour moi. J'espère qu'elle comprend et qu'elle m'en veut pas trop. Je sais que je pourrais toquer à sa porte et m'excuser. J'en ai enfin l'occasion. Mais quand je m'approche , le poing levé, pour m'annoncer, la poignée se met à trembler et je me réfugie dans un coin, là où elle ne peut pas me voir. Je regrette instantanément ma décision. J'aurai du rester devant la porte même si mon cœur battait à une allure improbable. J'aurai du lui montrer que j'étais toujours là, que je ne l'avais pas oubliée. C'est ce que font les gens courageux. Au lieu de ça je l'observe fermer sa porte en silence, le mouvement de ses clés qui s'enfoncent dans la serrure, elle soulève la robe qui lui tombe sur les pieds. Elle la porte souvent, sa préférée je crois. Elle s'apprête à quitter son étage mais avant ça elle tourne la tête dans ma direction. Je retiens mon souffle craignant qu'elle m'ai vu. Heureusement ce n'est pas le cas. Des quelques secondes où son visage me faisait face, j'ai cru que j'allais m'effondrer. Je suis si lâche.
Des bruits se font entendre de derrière la porte. Je n'ai pas le choix. Je dois être courageuse. Pour lui. Je ne sais pas quoi faire de mes cheveux. Ils pèsent trop lourd sur mes épaules. J'ai l'impression que mes vêtements m'étouffent. Mon corps entier m'ordonne de faire demi-tour. Mais j'en ai fini d'avoir peur. Les années ont passé. Elle n'a plus aucun contrôle sur moi. Alors je laisse mon appréhension de côté et je pousse la porte. Certaines choses ne changent jamais. L'une des raisons pour lesquelles je ne me sentais pas en sécurité dans ma propre maison est parce qu'elle refusait constamment de fermer la porte. Même la nuit, alors qu'on savait que ce n'était vraiment pas prudent. Je rentre dans l'appartement. Au début je reste dans l'entrée puis je finis par m'avancer dans la cuisine. Nos dessins sont encore accrochés sur le frigo. Les fruits dans la corbeille sont entrain de pourrir. Elle a déplacé des meubles. Ce n'était pas comme ça la dernière fois. Je ferme les yeux pour mieux me représenter l'endroit, pour me sentir un peu plus chez moi, comme avant. Parce que oui, des bons moments il y en a eu, et beaucoup. Après c'est le salon et là je ne reconnais plus rien. C'est pourtant ici que je passais le plus clair de mon temps. Je me mets à penser à la petite table sur laquelle mes anciennes photos étaient exposées. J'avais voulu les prendre avec moi en partant mais elle m'avait suppliée de les lui laisser. J'ai accepté parce qu'au fond de moi j'étais heureuse qu'elle s'intéresse un peu à ma passion. Mais quand je cherche des yeux la table dans le salon, m'attendant à la trouver facilement dans un autre coin de la pièce, il n'y a rien. Elle a encore fait semblant. Qu'est ce que je peux être stupide parfois. Mon cœur fait un bond. J'étais trop noyée dans mes souvenirs pour remarquer sa présence sur le canapé. Et elle, elle a un casque sur les oreilles. C'est pour ça qu'elle n'a pas entendu quand je suis entrée. Elle a toujours eu un sourire magnifique. Ethan avait le même. C'est bizarre, j'ai envie d'être en colère contre elle mais je n'y arrive pas. Elle a l'air si bien. J'ai peut être un peu exagéré, tout le monde fait des erreurs. Alors pendant un court instant je m'en veux. Seulement très court parce que je fais vite attention aux cadavres de bouteille à ses pieds. Je me place devant elle pour qu'elle se rende compte que je suis de retour à la maison. Mais elle ne lève la tête que pour mieux profiter de la musique, les yeux fermés. Un mot sort de ma bouche et je me sens comme une petite fille.
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Effigie
RomansaLa place bondée et au milieu un garçon sur son tabouret, de la peinture sur ses doigts, son pinceau dansant sur la toile, son chapeau sur les pavés où reposent des pièces abandonnées .Une fille observant le travail d'un peintre ,la pensée qu'il pour...