Erouan n'était qu'un jeune enfant d'une dizaine d'années à l'époque. Il ne se souvenait pas d'avoir le goût de l'eau. Le manque de connaissance sur l'hygiène posait d'immenses problèmes. L'eau était souvent contaminée par des écuries, des activités minières ou d'autres sources de contamination. Personne ne savait filtrer son eau correctement dans les régions les plus reculées du pays. Pourtant, le jour de son anniversaire, il eut un bol d'eau potable. Un simple bol d'eau qui pouvait paraître anodin pour un habitant de la capitale, mais un véritable trésor pour un paysan. Il avait l'habitude du lait d'ânesse, mais ça lui donnait mal au ventre. Ce simple bol d'eau avait illuminé sa vie. Il ignorait à quel point cette boisson si fade pouvait être agréable. Erouan avait l'impression d'avoir quitté la campagne pour ses immenses villes débordantes de bourgeois. Alors, il s'aperçut, bien des années plus tard, que ce sortilège venait du vieux sage bienveillant. Même s'il n'aimait pas les longues leçons de magie compliquées, Erouan se fit violence pour apprendre ce sortilège de filtration d'eau.
Ce souvenir le frappa devant sa chaumière en bois de chêne. À l'intérieur, il n'y avait personne. Pas même un insecte égaré. Ses deux parents étaient morts. Ce n'était pas un rêve, ni une illusion. La réalité l'estomaqua dès l'entrée. La vision du pain sur la table lui rappela les repas sautés par sa mère. Elle disait manger à son échoppe pour gagner du temps, mais elle mentait. Le jeune couple manquait de quoi payer les leçons d'épée de leur enfant, alors la mère sautait un repas par jour. Il l'apprit le jour où elle s'effondra par terre. Gwendoline voulait rendre heureux son fils, même si cela signifiait endurer la faim. S'il l'avait su plutôt, Erouan aurait préféré les cours de sorcellerie gratuits de Peran Gwenn. Le jeune homme décida de vite prendre des affaires pour partir. Chaque objet lui rappelait un tendre souvenir, mais chaque souvenir ravivait sa douleur. Le deuil frappait bien trop tôt à la porte de ses émotions. Il embarqua uniquement quelques vêtements de rechange et prit quelques florins. Ses parents n'en auraient plus l'utilité. Cette simple pensée déchira son cœur.
Sur le départ, il remarqua un bien étrange livre. Celui-ci n'était pas fait de matériaux ordinaires. Ainsi, on aurait pu le croire fait de charbon, tant sa couleur virait au noir. Pourtant, lorsqu'il caressa sa surface, le livre avait la texture de l'eau. Intrigué, le jeune homme souffla sur la couverture. Il fut surpris de ne pas savoir sur quoi il était posé. Son esprit avait occulté la pièce, comme si ce livre était plus important que sa propre vie. Ses doigts étaient mouillés, mais l'ouvrage était sec. La couverture, sans équivoque, lui rappela le livre qu'il regrettait d'avoir brûlé. Nécromancie, l'art de la vengeance. Le titre était apparu, mu par sa propre volonté. Dans l'histoire, seul un nécromancien avait terrassé un lanceur de foudre. Il n'avait même pas eu besoin de se rendre à cette auberge miteuse. La magie noire était venue toute seule à lui.
Si Erouan put ouvrir le livre, il n'en feuilleta pas les pages. Une force en lui l'empêchait de lire. Même s'il ne se l'expliquait pas, la raison était simple, le dégoût. Absolument, chaque cellule de son corps rejetait l'idée d'ouvrir ce livre. Son instinct d'être humain, son être, sa conscience, absolument tout voulait brûler cet ouvrage maudit. La magie noire n'était pas une chose admise par la vie. Elle était contraire à toutes les lois du monde. Pourtant, la haine féroce dans son cœur ne voulait pas se taire. Elle lui criait, furieuse, d'ouvrir ce foutu livre. Le carnage d'Eileen vint hanter son cœur. Le cadavre de ses parents, le héros de la nation exécuté, les elfes exterminés dans les camps " d'intégration ".
Il était probablement le seul au courant. Le seul à pouvoir agir. Malgré tout, il n'osa pas s'aventurer dans les pages sinueuses du livre maudit. L'humanité en lui était encore plus forte que la haine. Ainsi, il préféra quitter les lieux, le plus vite possible. Dans sa transe, Erouan dessina un pentagramme inversé sur sa table. Alors, il partit sans le réaliser. La hideuse créature en forme d'ouvrage s'était glissée dans ses bagages. Le livre avait trouvé une nouvelle victime et ne comptait pas lâcher sa proie. Son appétit féroce voulait mordre Erouan jusqu'à la moelle, dévorer la moindre parcelle de son âme et faire de lui un véritable mage noir.
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Gardien du crépuscule
FantasíaCette histoire n'est pas faite pour être heureuse, ni horrible. Dans ce monde de fantaisie, j'espère parler du pouvoir destructeur de la haine, comme du pouvoir réparateur du pardon. C'est l'histoire de personnes brisées, qui se rebellent contre la...