Premier Rêve

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Le premier son que j'entends, c'est celui d'une mélodie jouée au piano. C'est une mélodie lugubre, aux accents mélancoliques. Le carrelage noir et blanc lavé à la perfection reflète les lumières de l'imposant lustre qui se balance au-dessus de ma tête. En revanche, impossible d'apercevoir mon reflet. Je sais que je porte une robe pleine de dentelle et de frou-frou. La mélodie rebondit sur les murs, danse autour de moi, m'invitant à découvrir sa source. J'avance à petits pas, examinant la pièce dans laquelle je me trouve.

Les murs sont recouverts de miroirs, tous entourés d'épaisses tentures rouges. Aucun ne me renvoie mon reflet. Une porte en bois massif à double battants et aux poignées dorées semble être le seul moyen de quitter cette pièce. Timidement je m'en approche, posant une petite main sur la surface étonnamment tiède. Comme si quelqu'un venait de la manipuler. Je constate que ma main est celle d'une enfant, et non d'une jeune adulte. Rassemblant mon courage, j'inspire et abaisse la poignée de la porte, poussant de toutes mes forces pour l'ouvrir.

Je me retrouve dans une pièce au plafond haut. Les fenêtres sont masquées par de longs rideaux noirs. Le parquet vieilli craque sous mes pas. Un confortable sofa rouge sombre est positionné devant une table basse en verre, sur laquelle est posé un vase contenant un bouquet de fleurs noires. La mélodie du piano est de plus en plus forte, s'élevant dans mon dos.

Pivotant sur mes talons, je découvre un superbe piano à queue d'un noir luisant. Assise sur la banquette, une personne vêtue d'un jean noir et d'un ample sweat-shirt blanc à capuche me tourne le dos, concentrée sur l'instrument. Ses longs cheveux noirs tombent n'importe comment jusque sur ses omoplates. C'est elle qui joue du piano. Quelques bougies sont posées près d'elle, éclairant faiblement les alentours de l'instrument. Timidement, j'amorce un pas vers elle. La musique m'attire vers le pianiste, dont j'ignore l'identité. Je n'arrive pas à déterminer s'il s'agit d'une femme ou d'un homme. Son corps semble mince dans le sweat-shirt trop grand. Un pas, puis un autre. Lentement, je réduis la distance qui nous sépare. Il faut que je sache qui est cette personne. Je m'approche à petits pas, jetant de brefs coups d'œil autour de moi, comme si je craignais de me faire disputer.

Parvenue à sa hauteur, une puissante odeur métallique me frappe de plein fouet. Elle est si forte que je plaque ma petite main d'enfant contre ma bouche et mon nez. Cette odeur, je la connais pour l'avoir sentie chaque fois que je m'écorchais sur le goudron : c'est celle du sang. Je tousse discrètement. Le pianiste ne prend pas la peine de m'accorder le moindre regard. Ses mains pâles aux longs doigts volent sur les touches. Il joue la même mélodie sinistre, encore et encore. Son odeur de rouille se mêle à celle des bougies qui se consument lentement.

Lentement, timidement, je lève les yeux sur lui.

Son visage est blanc et creusé. Des mèches noires tombent sur son front, devant ses yeux bleu glace enfoncés dans leurs orbites. La peau autour de ses yeux est noire comme de la suie, complètement morte. Son nez est barré par une cicatrice. Mais sa bouche... Sa bouche... C'est le pire.

Ses joues sont déchirées, tailladées par un sourire si large qu'on voit toutes ses dents. Même quand ses lèvres se touchent, il sourit. Des morceaux de chair pendent de sa plaie, et ses gencives sont écarlates. Un filet de sang coule dans son cou. L'odeur n'est que plus forte, m'arrachant une quinte de toux. Le pianiste fredonne la mélodie de sa voix rauque, si grave qu'elle ne peut qu'appartenir à un homme.

Je halète. Mon cœur d'enfant s'emballe, martèle violemment ma poitrine.

Et puis, comme si une main invisible m'agrippait violemment par derrière, je bascule sur le dos, dans une chute qui semble s'éterniser.

𝐂𝐑𝐈𝐌𝐒𝐎𝐍 𝐏𝐈𝐍𝐄 𝐓𝟏 - 𝐶𝑟𝑒𝑒𝑝𝑦 𝐻𝑢𝑛𝑡𝑒𝑟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant