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Ce n'est pas un rayon de soleil qui me tire de mon sommeil mais un coup de tonnerre. Je manque de tomber de mon lit sous l'effet de la surprise. Complètement déphasée, je promène un regard endormi autour de moi. Je suis en peignoir, blottie sous les draps de mon lit. J'ai dormi d'une traite, et même la faim ne m'a pas réveillée. Je suis couverte de sueur et mon cœur bat la chamade. Je roule sur le dos, tâchant de trouver l'apaisement en fixant le plafond en pente soutenu par deux larges poutres. Mon rêve me revient en mémoire, et une sensation de détresse me frappe avec la force d'un train lancé à pleine vitesse. Malgré moi, je laisse échapper un gémissement que j'étouffe dans la manche molletonnée de mon peignoir. Mon cœur continue à battre violemment dans ma cage thoracique. L'image du garçon au visage mutilé reste gravée dans mon esprit. Je n'avais encore jamais fait de tel cauchemar auparavant. La mélodie qu'il jouait au piano me revient au mémoire et je la reconnais immédiatement. Il s'agit de Sweet Dreams, d'Eurythmics reprise ensuite par Marilyn Manson et jouée par l'inconnu à un rythme bien plus lent, lui donnant des échos sinistres.

Un inconnu ?

Non.

Le garçon m'est étrangement familier, comme si je l'avais déjà croisé quelque part. Enfin, un visage dans cet état, je m'en souviendrai. Et je ne suis pas sûre que mon esprit puisse créer pareille mutilation aux personnages de mes rêves. Je m'efforce de reprendre mon calme et me redresse lentement, battant des paupières. Je n'avais jamais fait de rêve aussi réaliste auparavant. Les odeurs ont imprégné mes narines. J'ai l'impression d'être dans la pièce au piano. Un nouveau coup de tonnerre retentit. La pluie tambourine sur les volets de ma chambre. Génial. Bienvenue à Crimson Pine, là où il pleut trois-cent -soixante jours par an. Je repousse mes draps, morose, et promène un regard curieux sur la chambre dans laquelle j'ai grandi.

Envolés les jouets, les petits livres pour enfants qui garnissaient ma bibliothèque. Le meuble est désespérément vide. Finis, les petits meubles blancs décorés par mes soins quand j'avais neuf ans. Une large penderie, une élégante coiffeuse et un bureau placé à proximité de ma fenêtre les ont remplacés. Une vive douleur m'étreint la poitrine. Je ne reconnais plus ma chambre et je n'arrive pas à savoir si c'est bien ou mal. D'un côté, je sais que je vais apprécier, dans le futur, de ne pas pleurer chaque fois que j'entre dans une pièce. De l'autre, j'ai l'impression que tous les souvenirs s'envolent petit à petit. Que mes parents disparaissent. Que ce n'est plus vraiment la maison dans laquelle j'ai grandi.

En bas, ma tante chantonne, et une odeur de pancakes tièdes me chatouille les narines. Je dois avouer que ça me donne davantage envie qu'une maison vide et un four froid. Le tonnerre gronde de plus en plus fort, provoquant chez moi un besoin de me blottir sous les draps.

-Luna ? Tu es réveillée ?

Ma tante m'appelle depuis le bas des escaliers. Je grommelle une réponse à voix basse.

-Luna ? Le petit-déjeuner est prêt !

En guise de réponse, mon ventre gargouille bruyamment, ce qui me décide à sortir du lit. Je traverse ma chambre, tire les rideaux, ouvre la fenêtre et repousse les volets afin d'aérer la pièce. La pluie, poussée par le vent, me fouette le visage. Ma chambre donne directement sur la rue aussi animée qu'un cimetière.

-Je me demande pourquoi je suis revenue ici, marmonnai-je pour moi-même.

Un mouvement attire mon regard. L'idée qu'il puisse y avoir de la vie ici et par ce temps me paraît aussi déplacée qu'un marchand de ballons à un enterrement. Sous le réverbère le plus proche, une silhouette de taille moyenne se tient debout, immobile, visiblement insensible aux éléments qui se déchaînent. Je ne discerne pas grand-chose d'elle, si ce n'est qu'elle porte un ample sweat-shirt gris foncé et un jean noir. Ses mains sont enfoncées dans ses poches et sa capuche est rabattue sur sa tête. Parfait, les habitants de ce trou paumé sont aussi accueillants que la météo locale. Au moment où je bloque les volets contre le mur, le claquement produit par le bois lui fait lever la tête. Je pousse un cri étranglé et me jette en arrière, tombant au sol avec fracas.

𝐂𝐑𝐈𝐌𝐒𝐎𝐍 𝐏𝐈𝐍𝐄 𝐓𝟏 - 𝐶𝑟𝑒𝑒𝑝𝑦 𝐻𝑢𝑛𝑡𝑒𝑟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant