147 rue Jacques Sénée

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147 rue Jacques Sénée, nuit de Janvier. Sifflotant tranquillement, Lenny marche gaiement dans une avenue de Paris. Il pousse la porte de l'immeuble blanc, grimpe quatre à quatre les 6 étages qui le composent, secoue son porte-clef bruyamment pour ennuyer les voisins, ouvre la porte en grand, s'engouffre dans l'appartement, claque la porte d'un coup de pied bien marqué, referme à clé et se jette sur son lit, heureux comme un enfant. Il se relève brusquement, court à la fenêtre, et reste ainsi, à genoux, pendant une heure, à observer la lune et les constellations. Malgré sa coupe blonde de bohémien, sa taille trop maigre et peu élancée, ses yeux bleus fuyants et profonds, sa tête de gamin révolté et insolent, il reste un garçon sensible. Il sort du commissariat, il a encore gagné, après des jours de débat et de preuves, contre une fausse accusation porté sur lui. Atout de force : le soir de la présumée attaque dans laquelle il était censé participé, selon les « victimes », m'sieur Lenny était au cinéma avec son meilleur ami, Joris. Ils étaient allé voir Avatar 2, grand clou actuel au cinoche. Les policiers n'ont qu'à s'incliner, la dame au guichet affirme qu'ils y étaient bien pour les avoir eu à l'œil pendant tout le film, connaissant leur réputation. Au fond d'elle-même, elle les aime bien, ces gamins. Paumés, placés dans des mansardes par l'ASE, sans adulte à temps suffisant, ils lui font pitié : 

« Ce n'est pas la place d'un enfant que d'être livré à lui-même aussi jeune. Ils ont tous les deux 13 et 14 ans, seulement deux fois en trois semaines, un éducateur vient leur rendre visite pour s'assurer qu'ils aient bien leur nourriture et leurs habits corrects, qu'ils aillent bien au collège, mais ça ne remplace pas les parents, l'autorité adulte qu'ils devraient recevoir. Et il n'y a pas qu'eux, il y en a d'autres, qui se cachent plus par peur d'être lynchés ou en dépression,» ajoute-t-elle.

Lenny, lui, n'en a rien à faire des soucis et de la pitié qu'il attire dans son entourage. Dans l'immeuble, tous les voisins le connaissent, essaient de lui montrer ne serait-ce qu'une petite marque d'affection mais Lenny préfère les éviter. Il se rappelle trop bien comment une simple gentillesse peut ruiner toute une vie, détruire une famille, tuer des gens...

Pour comprendre les gestes souvent brusques et violents du jeune garçon, il faut d'abord connaître son histoire. Histoire si répandue à l'heure actuelle malheureusement... Lenny a tout relaté, à la demande du Juge, dans un petit carnet :

« Je m'appelle Lenny, j'ai 12 ans. J'ai un grand frère, Jack, il aurait eu dix-huit ans le 14 janvier. J'ai aussi une petite sœur qui s'appelle Margot et qui est trop mignonne. Elle a 6 ans et demi, elle aura 7 ans en Juillet. Tout s'est déroulé un soir de décembre, le 20 du mois. Jack rentre du lycée, le visage tuméfié, la bouche en sang, les vêtements déchirés, le dos griffé. Il est très énervé. Je sais qu'il se fait harcelé à l'école. Maman m'a bien souvent répété que personne, aucun adulte, ne le prenait au sérieux. J'avoue que je n'ai jamais compris pourquoi il se faisait tapé dessus. Il disait que les « autres » le trouvaient trop « intello », trop dans les nuages. Jack réfléchit beaucoup, il est super bon en classe, j'suis trop fier de lui. Sauf que ce soir, bien qu'il soit très abîmé, il me tendit une enveloppe. A l'intérieur se trouvait une petite améthyste. Assez choqué et content, j'ai oublié de lui dire merci. Et c'est là que tout a flanché... Jack a explosé, s'est jeté sur moi en me tabassant et en répétant 'tu peux remercier ! on ne t'a jamais appris la politesse ? obéis ! remercie ou je t'explose la tête contre le carrelage !!!' Effaré, je criais tout ce qu'il voulait me libérer. Papa est intervenu, a éjecté Jack à plusieurs mètres, m'a relevé et m'a dit de partir dans ma chambre. Je ne me souviens que d'avoir entendu mon père essayant de calmer mon grand frère, puis une porte et une vitre qui semblaient exploser, les cris de ma sœur et de ma mère, et puis plus rien. Mort de peur, je pris mon téléphone et appela le 119. Les secours arrivèrent rapidement et je ne me souviens plus de rien. Mon père et ma mère sont actuellement à l'hôpital, entre la vie et la mort, Margot, d'après ce que j'ai retenu, a été héliportée en urgence au CHU de Lyon. Jack a ensuite tenté de se suicider en s'assénant plusieurs coups de couteau mais les pompiers l'en ont rapidement empêchés. Ils sont actuellement tous entre la vie et la mort. Je n'ai eu que des blessures superficielles... Seul survivant de cette tempête...» 

Son petit carnet, il l'a enfouit sous une latte du parquet, sous son lit. Il ne veut plus le voir pour l'instant. Mais actuellement, Lenny ne pense pas à ça. Il réfléchit sur les constellations, la composition de l'Univers. Son rêve serait d'aller sur la lune. Dans la rue, une bande d'ados l'appellent, mais il n'entend pas. Il est perdu, dans ses pensées. Encore rêveur, il se lève doucement, va chercher son cahier de dessin, un crayon à papier et commence à crayonner un astronaute au milieu d'un souffle d'étoiles. Il reste ainsi, pendant deux heures encore, à remplir sa feuille de traits nets et doux. Casque sur la tête, il pourrait rester ainsi pendant longtemps. finalement abattu de fatigue, il s'endort, assis en tailleur, sur le rebord de la fenêtre, qui est assez large pour s'assoir, la tête sur le carreau, le visage doucement éclairé par les lumières de la capitale.

Dans l'immeuble d'en face, deux étages plus haut, un homme, caché par l'ombre, l'observe dormir. Il prend un appareil photo, capture cet instant si calme, sourit et disparaît dans la pénombre de son appartement.



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Le souffle des Etoiles - Un triple jeuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant