Réveillé par son propre cri, Lionel se redressa comme un ressort dans son lit. Son cœur battait à tout rompre. Au même moment, le plafonnier s'alluma et l'aveugla. Par réflexe, il détourna le regard et plaça une main devant ses yeux fermés pour bloquer la lumière.
— Qu'est-ce qu'il se passe ? s'enquit Paul d'une voix paniquée.
— Rien, lâcha Lionel, encore haletant.
Il retira sa main de son visage et cligna péniblement des yeux le temps de s'accoutumer à la luminosité. Entre deux battements de cil, il remarqua que Paul tenait un revolver entre ses mains.
— Ce n'est pas une arme de service, ça ?
— En effet.
— T'a le droit de te balader avec ?
— Tu connais déjà la réponse.
Paul accompagna sa tirade d'un rire nerveux et n'essaya même pas d'argumenter. Il glissa l'arme à l'arrière de son pantalon et ancra son regard dans celui de son ami.
— C'était quoi ça ? Tu causais tout seul avant de hurler, j'ai cru que quelqu'un allait te buter.
— J'ai déjà dit que ce n'était rien ! s'emporta Lionel.
Paul n'insista pas. Les traits de son visage s'adoucirent et laissèrent place à une profonde tristesse qui renforça l'agacement de Lionel.
— Oh et ne me regarde pas comme ça.
— Comme quoi ?
— Comme si j'étais malade, siffla Lionel.
Paul pinça les lèvres comme pour ravaler sa réponse, puis il inspira bruyamment. Sans un mot, il éteignit le plafonnier et tourna les talons. L'obscurité s'abattit sur la pièce et Lionel, assis dans son lit, fixa l'image rémanente de la porte qui flottait devant ses yeux.
S'imaginer que cette nuit serait différente des autres était la chose la plus stupide qu'il ait espéré depuis bien longtemps. Il se fustigea intérieurement et se répéta qu'il aurait mieux fait de rester éveillé en présence de Paul.
Lionel serra les dents en revoyant la peine dans ses yeux. Désormais, Paul savait. Lionel ne pourrait pas échapper aux regards empathiques, à l'inquiétude exacerbée, aux « tu es sûr que ça va ? », de son ami.
Il lança un regard vers son réveil, il affichait 4 h 15. Il avait dormi à peine plus de trois heures. La pression qu'il ressentait au niveau des tempes annonçait l'arrivée d'une migraine. Se mettre devant l'ordinateur était donc déconseillé. Qui plus est, il n'arriverait pas à s'activer sans un bol de café, mais la cafetière était dans la cuisine. Hors de question de l'allumer avec Paul qui dormait dans le canapé, à quelques mètres à peine, sans l'ombre d'un mur pour atténuer le vacarme du moulin à grain.
Lionel tâtonna dans le noir jusqu'à mettre la main sur son téléphone. Lorsqu'il en déverrouilla l'écran avec son empreinte digitale, la lumière intensifia sa migraine et lui arracha un gémissement de douleur.
Lionel se laissa retomber sur son coussin, il ne lui restait plus qu'une option : lutter contre le sommeil jusqu'au petit matin.
* * * * * *
L'alarme du téléphone de Paul sonna à 7 heures et Lionel en profita pour sortir de son lit. Une étrange douleur latente restait tapie au fond de son crâne.
Il rejoignit Paul dans le salon. Malgré la nuit aussi courte qu'agité, celui-ci affichait une mine fraiche et reposée. Paul passa une main à rebrousse-poil le long de son dégradé militaire et bailla à s'en décrocher la mâchoire tout en prenant place à table.
— Café ? proposa Lionel.
— Volontiers.
Lionel lança la machine et versa des grains dans le moulin. Bien vite, l'odeur du breuvage se répandit à travers la cuisine. Pendant que les tasses se remplissaient, il récupéra une baguette dans son sac à pain et la posa à table accompagné d'un pot de confiture et d'une motte de beurre.
Paul s'empara du couteau que Lionel avait posé à table et se prépara une tartine. Lorsque Lionel posa la tasse fumante à côté de lui, Paul le remercia tout en prenant soin d'esquiver son regard.
Lionel s'assit à table à son tour et sirota son café sans un mot. Il savait que Paul était rongé par l'envie de reparler de cette nuit. C'était certainement pour cette même raison qu'il préférait rester aussi distant.
Le silence qui s'installa dans la cuisine se fit plus oppressant chaque minute.
— Qu'est-ce qu'il t'est arrivé là-bas ? demanda finalement Paul sans chercher à établir le moindre contact visuel.
Il parlait du cartel. Tout le monde parlait toujours du cartel. Lionel noya son regard dans son bol de café.
— J'ai tué et torturé des gens, et ce n'était pas de la légitime défense, lâcha-t-il de but en blanc.
Lionel quitta des yeux le liquide marron pour scruter la réaction de son ami. Au fond, s'il n'aimait pas en parler, c'est parce qu'il avait peur que les autres le voient comme lui se voyait. Comme un monstre.
Paul resta de marbre face à la révélation et croqua derechef dans sa tartine.
— C'est de ça que tu rêves ?
— Toutes les nuits. La psy dit que ces cauchemars, c'est un peu un moyen pour mon cerveau de se purger de ses trop-pleins d'émotion, de traiter l'information. Elle dit que ça va s'arrêter, tôt ou tard...
— Et toi tu en penses quoi ?
— Foutaises. J'ai plutôt l'impression que ça se renforce chaque nuit un peu plus.
Paul serra les dents. Il avait envie de lui dire que chasser le Druide entravait certainement son rétablissement, mais il se retint. Au fond, il savait que si Lionel se confiait, c'était pour qu'il lui lâche la grappe, pas pour subir ses remontrances. Puis, consciemment ou non, il s'autoflagellait déjà suffisamment lui-même. Il n'avait pas besoin que son entourage remue le couteau dans la plaie.
Une nouvelle alarme se déclencha et le téléphone de Paul vibra sur la table. Il stoppa le réveil avant même que les premières notes de la musique n'aient retenti et s'étira. Le bois de la chaise grinça sous son poids.
— C'est l'heure pour moi, dit-il en se relevant.
Paul attrapa sa veste sur le rebord du canapé et se dirigea vers le palier où il enfila ses chaussures. Il déverrouilla la porte avec le triple de la peluche ourson et jeta la clef dans le vide-poche avant de se tourner vers Lionel. C'était la première fois depuis qu'il était réveillé qu'il le regardait dans les yeux.
— On va l'arrêter ce fils de chien, et tout ça, ce sera du passé. Ok ?
Lionel sourit et hocha la tête pour toute réponse. Paul lui rendit son sourire, suivi d'un clin d'œil et s'éclipsa.
![](https://img.wattpad.com/cover/367201774-288-k253229.jpg)
VOUS LISEZ
L'affaire Tillman
Misterio / SuspensoAprès 4 ans d'infiltration, Lionel Tillman parvient à démanteler un puissant cartel de drogue. Alors qu'il peine à tourner la page sur ces années sordides, un tueur en série surnommé « Le Vautour » apparaît dans la ville de Toulouse. Pour Lionel, ce...