Chapitre 19

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Le Vautour gara sa voiture dans la ruelle sombre d'un lotissement. Ici, une petite poignée de maisons se partageait l'espace. Chacune possédait un grand jardin. Ceux-ci étaient séparés par de hauts murs et d'épaisses haies de Photinia. Le lotissement était situé en périphérie de la ville. L'endroit était calme, pour ne pas dire désert.

L'homme se frictionna les mains. Les nuits d'avril étaient encore froides. De la vapeur s'échappa de ses lèvres tandis qu'il soufflait sur ses doigts pour tenter de les réchauffer.

Un dernier regard à son téléphone lui confirma l'heure : 22h40. Si Marianne respectait ses habitudes, elle était assise sur son canapé en train de regarder une série. La baie vitrée de sa véranda était ouverte pour que son chien puisse sortir faire ses besoins avant qu'elle aille se coucher, à 23h30.

Le Vautour enfila une paire de gants et récupéra un petit sac plastique posé sur le siège passager avant de sortir de la voiture. Il s'élança jusqu'au portillon de Marianne et dégaina un kit de crochetage de sa poche.

Il n'avait pas besoin de regarder autour de lui pour savoir qu'il était seul. Les volets des maisons voisines étaient fermés et il n'y avait aucune sorte de vidéosurveillance dans le périmètre.

À peines eut-il refermé le portillon derrière lui que le vieux labrador pointa le bout de son museau. Le vieux pépère s'approcha lentement. Il titubait à chaque mètre parcouru.

Sans bouger, l'homme s'accroupit. Il sortit de son sachet un morceau de pain fourré aux somnifères et le tendit face à lui. Une fois arrivé à sa hauteur, le chien renifla l'aliment, puis l'attrapa avant de le gober en deux coups de crocs.

— C'est bien, régale-toi. Comme ça, je n'aurai aucune raison de te tuer, murmura le Vautour.

Les animaux, contrairement aux hommes, n'étaient pas des êtres corrompus, cupides, égoïstes. Les tuer ne lui procurait aucun plaisir.

Une fois son encas terminé, le chien se frotta à lui pour réclamer des caresses. L'homme les lui donna sans rechigner. Bien qu'il n'affectionne pas particulièrement les chiens, ceux-ci l'avaient toujours apprécié.

Sans jamais s'arrêter de flatter les flancs du labrador, il leva les yeux vers le ciel. Les rues ici n'étaient pas polluées par la lumière des lampadaires. Chaque maison avait son propre système d'éclairage et, à cette heure-ci, tous étaient éteints. Aussi, on pouvait profiter d'un ciel clair et dégagé.

Le Vautour prit une grande goulée d'air frais et regarda la vapeur former un épais nuage lorsqu'il expira. C'était une belle soirée pour sceller le sort de Lionel et l'envoyer sous les verrous. Il pourrait alors, depuis sa cellule, contempler tout le mal qu'il avait fait.

Le Vautour jubila à cette pensée. Soudain, un ronflement l'arracha à sa transe. Lorsqu'il baissa les yeux sur le chien, il constata que celui-ci dormait paisiblement. L'homme le caressa une dernière fois et lui souhaita bonne nuit avant de se relever. Il s'épousseta des poils blancs de l'animal et s'approcha de la maison. Il longea le mur à pas de loup jusqu'à la petite véranda.

Le jardin n'était clairement pas entretenu. L'allée de gravier qui entourait la maison était envahie de chiendent. Le gazon lui arrivait au-dessus des chevilles. Les haies poussaient de manière chaotique et de nombreuses branches s'échappaient de la masse. Sans parler des jardinières et plantes en pot complètement desséchées.

Le Vautour atteignit finalement la véranda. Comme prévu, elle était ouverte. Depuis la vitre il voyait Marianne, ou plutôt, sa tête qui dépassait des coussins du canapé. Il entendait aussi le son de la télé qu'elle avait laissé particulièrement fort.

Il retira ses chaussures pour être sûr de n'émettre aucun son. Une fois en chaussettes, il entra dans la maison sur la pointe des pieds. L'excitation grimpait à chacun de ses pas.

Il attrapa son tout nouveau jouet dans le pan de sa veste. Avoir la lame en main lui procurait toujours autant de plaisir. Son cœur battait à tout rompre tandis que l'adrénaline parcourait son corps tout entier.

Il avança tout droit jusqu'au canapé et se positionna derrière Marianne. Il était si proche, et elle n'en avait même pas conscience. Il frissonna d'extase.

D'un coup, il posa sa main droite sur la bouche de la femme et de l'autre, il lui trancha la gorge d'un geste net.

Ce qui aurait dû être un hurlement de surprise et de douleur sonna comme un affreux gargouillis. Elle se débattit l'espace d'un instant, mais ses forces la quittaient en même temps que son sang. Le Vautour se délecta de l'odeur ferrailleuse du liquide, des soubresauts du corps, des cris étouffés de la victime.

Finalement, le corps de Marianne se relâcha, et sa tête retomba mollement en arrière. Debout derrière elle, l'homme pouvait voir la plaie béante de part et d'autre de sa gorge.

La scène n'avait pas durée plus d'une minute. C'était rapide, trop rapide à son goût. Il devrait pourtant s'en contenter. Il était loin, le temps du cartel où il pouvait torturer ses victimes sans risquer de se faire découvrir. Sa salle d'interrogatoire froide et morbide lui manquait terriblement.

Pris de nostalgie, il soupira avant d'essuyer la lame sanglante sur les coussins couleur café. Il regarda ensuite la pièce dans laquelle il se trouvait. En face de lui, il y avait un écran plat sur un meuble de bois noir. Aux murs étaient accrochée une multitude de photos des enfants de Mariannes.

Aujourd'hui, il le savait, les gamins n'étaient pas là. Si la femme passait tous ses après-midis au parc, c'est parce que c'était le point de rencontre qu'elle avait établi avec son ex-mari. Les deux s'échangeaient leur progéniture semaine après semaine afin de respecter l'accord de garde alternée.

Derrière lui, à côté de la porte qui menait à la cuisine, se trouvait un bureau avec un pc portable et une imprimante. En même temps qu'il analysait la pièce, il se demandait où et comment il allait former sa prochaine œuvre d'art.

Tout à coup, la réponse lui apparut comme une évidence. Il allait jouer avec la transparence de la baie vitrée. Ainsi, la rune ne serait visible que depuis l'extérieur de la maison.

Sans attendre, il contourna le canapé de tissu et s'accroupit face au cadavre de Marianne. Il releva le haut de son pyjama pour laisser apparaître son ventre, encore tiède.

Avec une précision chirurgicale, il incisa l'abdomen de tout son long et plongea sa main gantée à travers la plaie. Une douce chaleur lui caressa le bout des doigts.

Il attrapa les tripes de sa victime et les déroula entièrement à ses pieds, sur le carrelage beige du salon. L'odeur métallique du sang se mêla à celle, faisandé, des viscères. Il inspira à pleins poumons. Ce parfum, il ne s'en lasserait jamais.

Il se releva et recula jusqu'à atteindre le meuble télé. Il avait besoin de se visualiser la rune afin de la mettre en œuvre. Ensuite, il coupa et disposa soigneusement des portions d'entrailles dans le salon.

Finalement arriva son moment préféré. Lorsqu'il prenait du recul sur la scène et voyait se dessiner la rune d'Hagalaz sous ses yeux.

Il était fier, très fier de son dessein. Il resta debout dehors, à le contempler pendant de longues minutes. Cependant, il le savait, les runes ne suffisaient pas. La police était trop stupide pour voir les liens avec Lionel et l'inculper. À moins qu'elle ne fasse volontairement l'autruche ?

Néanmoins, Lionel aussi était trop stupide pour comprendre ses messages, pour voir la vérité. Au début, le Vautour se délectait du fait que l'ancien flic patauge ainsi dans la semoule. Plus il aurait de victimes à son compteur, plus Lionel s'en voudrait de ne pas avoir compris plus tôt comment arrêter ses massacres.

Il resserra sa poigne sur le manche du couteau et passa un doigt sur la lame pour en retirer le sang et y lire l'inscription « Lionel.T le meilleur des Papa-tissier ».

Il fonça jusqu'à l'imprimante et y récupéra une feuille avant d'y inscrire des menaces du bout de son gant ensanglanté. Après avoir lu ça, Lionel le conduirait tout droit jusqu'à sa prochaine victime.

Le Vautour se mordit la langue pour ne pas se laisser emporter par unpuissant fou rire. Tout se déroulait à la perfection.

L'affaire TillmanOù les histoires vivent. Découvrez maintenant