L'affaire Tillman

Chapitre 44

Après quelques secondes à jauger son interlocuteur, Chris se décida à briser le silence.

- Léo ? demanda-t-il à demi-mot.

- Non, c'est sœur Thérèsa, lança Léo avec une voix nasillarde pour imiter une vieille bonne sœur.

Chris serra les dents et pinça les lèvres.

- Quelle insolence.

- Regarde-moi, c'est le seul plaisir qu'il me reste, plaisanta Léo.

Au centre de la table se trouvait un petit boîtier noir. De toute évidence, Chris était là pour avoir des aveux. Avec un peu de chance, Léo pourrait retourner l'appareil à son avantage.

- Tu enregistres ? demanda Léo, redevenu sérieux.

- Non, c'est pour préparer du pop-corn, rétorqua Chris.

Léo rit à s'en tordre l'estomac. C'était de bonne guerre après tout.

- On aurait pu s'entendre, si tu ne m'avais pas tiré dessus, lança Léo une fois calmé.

Il le pensait sincèrement. Dans les souvenirs de Lionel, Chris était un représentant de l'ordre à la morale douteuse. Il préférait souvent la violence aux textes de loi, même s'il utilisait ces derniers pour être parfaitement intouchable.

Cet aspect de sa personnalité plaisait beaucoup à Léo. Malheureusement, c'est ce même aspect qui avait foutu en l'air ses plans. Lui qui pensait que Chris avait une dent contre Lionel, il avait sous-estimé sa loyauté envers ses collègues gendarmes.

- On aurait pu s'entendre, si tu n'étais pas un putain de tueur en série.

- Je n'ai tué que des camés, des criminels en somme, se défendit Léo sans chercher à nier les faits.

Chris renifla.

- Arrête de jouer les bons samaritains. Tu ne l'as pas fait par désir de justice mais pour nous conduire à Lionel. Tu veux une médaille peut-être ?

Les bras camisolés contre son torse, Léo haussa les épaules et sourit à l'Adjudant-Chef.

- Pourquoi pas.

- Tout ça n'est qu'un jeu pour toi, souffla Chris entre ses dents.

- Exactement. Un jeu où j'ai établi des règles que tout le monde a scrupuleusement suivies...

Avant qu'il n'ait le temps de finir sa phrase, Chris attrapa le boîtier et l'éteignit. Léo serra les dents, cet enfoiré l'avait vu venir.

Chris leva les yeux vers le garde-fou posté derrière Léo et lui fit un rapide signe de tête. Le bruit de la porte qui s'ouvre et se referme confirma à Léo que l'agent de sécurité avait quitté la pièce. Aussitôt, le visage de Chris se referma pour laisser place à un air dur.

- Je t'en prie, termine ta phrase, ordonna-t-il.

- Tout le monde a respecté les règles, sauf toi, mon Adjudant.

Un sourire passa subrepticement sur les lèvres de Chris avant qu'il ne réponde.

- Qu'est-ce qui te fait croire ça ?

- Les preuves étaient là. Dès l'instant où cette affaire a été reliée au cartel, tu aurais dû inclure Lionel dans les suspects, parce que c'est la procédure. Tu aurais dû fouiller les dossiers de son infiltration. Tu aurais dû l'interroger. Au lieu de ça, tu lui as dit de se barrer à l'autre bout du monde.

Chris l'écoutait sans l'interrompre. Il attendait la fin de sa tirade.

- Tu as fermé les yeux, sciemment. Parce que tu n'avais pas envie de croire que ton élément le plus intègre puisse être mêlé à une histoire aussi morbide.