Au delà des apparences

Chapitre 3

Kye

Devant mon écran, je tente de tuer des zombies. Ça me fait rager de perdre. Je cries, je m'énerve sur la manette et sur les autres joueurs alors que ça n'a pas lieu d'être. Ce n'est qu'un jeu, je le sais.

Je sais qu'aux yeux de certains je peux être un pauvre minable, peu sociable. Aux yeux d'autres, je pourrais ressembler à un sociopathe avec un esprit éloigné de celui de Socrate. Pourquoi me direz-vous ? C'est simple : le mec renfermé sur lui-même qui ne parle à personne au lycée. Je suis emprisonné dans les jeux, car votre monde me fait peur. Un monde hypocrite et individualiste où tout le monde ne pense qu'à lui avant autrui, sans réfléchir aux conséquences que cela risquerait d'engendrer. Un monde où c'est devenu normal, voire banal de critiquer des personnes juste parce qu'elles sont faibles moralement ou qu'elles ne rentrent pas dans vos critères de beauté. Ajoutez à cela que les médias nous oppriment, dévoilant des informations déjà jugées et sans avoir été traitées et analysées au préalable.

Aujourd'hui, je suis peut-être seul mais dans mes jeux, j'ai des potes avec lesquels je rigole, je m'évade et je décolle. Ce n'est sûrement que du virtuel mais je sais que je ne tomberai pas – ou peu – sur des gens superficiels. Mais pour beaucoup, ce n'est pas ça la vie. Mais pour nous les gamers, c'est un moyen d'évasion. Beaucoup se droguent à la weed eh bien moi, c'est à Call of Duty. Je n'irai pas jusqu'à dire que les jeux vidéos m'ont sauvé. En revanche, cela m'a permis de rester ancré dans ce monde. Oui oui, étonnant hein ? Mais c'est véridique. Cela m'aide à garder la tête sur les épaules car ce n'est pas ma famille qui m'aurait aidé à surmonter une épreuve, un épisode assez compliqué de mon existence qui s'est déroulé il y a quelque temps déjà.

Quelqu'un frappe à la porte. Ça doit être mon père. Qui ça peut bien être d'autre de toute manière ? Il n'y a que nous deux vivants dans cette pitoyable demeure qui tombe en ruine de jour en jour. Entre les parties des murs qui tombent en lambeaux avec l'apparition grandissante de la moisissure, les tuiles du toit qui ne font pas le poids lorsque madame météo est capricieuse, les fuites d'eaux dans la salle de bain... Et j'en passe.

Cependant, il sait que je n'aime pas être dérangé quand je suis en pleine partie. C'est donc avec un soupir las que je mets sur pause et ouvre la porte.

– Que veux-tu ? lui demandé-je sans lui cacher mon agacement.

Mon géniteur approche la quarantaine, mais il en paraît cinquante tant la drogue et l'alcool en même temps ne font pas bon ménage. Il me fait pitié avec son visage bouffi, des poches sous ses yeux verts recouverts d'un voile de tristesse, de la couperose sur sa peau pâle fait un beau contraste. Ses cheveux semblables aux miens sont ébènes. Je lui ressemble comme deux gouttes d'eau physiquement. Ça s'arrête là, point.

Je me demande comment il a réussi à parvenir jusqu'à ma chambre dans la mesure où elle se trouve à l'étage. Et qui dit étage dit escaliers. Or, il titube à longueur de journée donc c'est un exploit qu'il soit monté sans tomber.

– Je... Vougrais que... commence-t-il.

Dire qu'il a des difficultés à s'exprimer est un bien bel euphémisme. Ses propos sont incohérents et je dois m'amuser à faire l'interprète.Quoique non... Ce n'est pas tellement un jeu, mais un fardeau. Je n'ai personne qui puisse m'aider avec cette épave délabrée. Ma mère ? Elle est morte. Ma grand-mère m'a expliqué qu'elle était atteinte d'une tumeur au cerveau. Cela lui a été fatal. Elle est partie rejoindre les étoiles lorsque j'étais âgé de cinq ans. J'ai quelques bribes de souvenirs mais ils sont tous flous. Pendant mon enfance, je lui en ai voulu de m'avoir abandonné. Lorsqu'elle a rendu son dernier souffle, je sais que mon père a souffert. Il n'y avait eu que Rachelle dans sa vie. Ma grand-mère m'a raconté un peu leur histoire et que leur relation avait commencé durant leur adolescence. Ils étaient fusionnels et leur amour, si fort, m'a donné vie. Pour Matias, la perte de la femme de sa vie a été un coup dur. Je pensais que ma présence aurait pu l'aider à surmonter cette épreuve mais apparemment je n'avais pas été une raison suffisante de lui faire garder les pieds sur terre. Il est parti dans tous les sens. Son entourage en a eu marre et lui a proposé de repartir dans l'armée. Là où il serait encadré. Ça n'a duré qu'un temps...