Chapitre 8 | La veillée

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Jude referma la porte de sa maisonnette aux alentours des six heures du soir. Il retira ses souliers derrière la porte et déposa sa veste usée et poussiéreuse sur le dossier de sa chaise. Il tenait entre ses mains une assiette que lui avait préparée Liz et dont émanaient des effluves de l'un de ses merveilleux ragouts. Affamé, il s'installa à table et dégusta son repas à la lumière d'une lampe à huile qui baignait les lieux d'une agréable et douce lueur orangée. Dans la cheminée, les faibles flammes d'un feu qu'il s'occuperait de faire repartir crépitaient.

Ce soir-là, Jude était rentré chez lui bien plus tôt qu'il ne l'aurait imaginé, ce grâce à Winston. Lorsque ce dernier l'avait laissé près de l'étang, à une heure déjà avancée de la journée, Jude n'avait pu s'empêcher de souffler de désespoir en prenant conscience du retard qu'il avait accumulé sur ses corvées du jour. Il avait pressé le pas sur le chemin du retour, se demandant à quelle heure il rentrerait chez lui ce jour-là alors qu'il lui restait des cuirs à graisser et des harnachements à ranger. Si les choses s'étaient déroulées comme il l'avait cru, il aurait certainement passé une partie de sa soirée à l'écurie.

Winston était un garçon surprenant. Il y avait bien longtemps que Jude l'avait compris mais, une fois de plus ce jour-là, le blond l'avait surpris. Lorsque Jude était enfin parvenu à l'écurie, essoufflé et les muscles douloureux d'avoir remonté le long chemin menant aux bâtiments, il avait été surpris de découvrir que les harnachements secs du matin avaient été soigneusement rangés dans la sellerie et que les cuirs manquants avaient été graissés. Les lieux étaient déserts lorsqu'il était arrivé, tandis que les dernières brides séchaient sur des crochets fixés à une poutre, mais Jude n'était pas un imbécile : c'était Winston. Le blond était le seul capable de se salir les mains sans en éprouver la moindre honte. Il se fichait pas mal de ce que son rang impliquait, de ce qu'il était censé faire ou pas. Lorsqu'il le pouvait, Winston faisait ce qu'il avait envie. Et, ce jour-là, il avait eu envie d'aider celui qui s'était inquiété pour lui. Il aurait culpabilisé de le savoir travailler jusqu'à pas d'heures car il avait perdu du temps pour lui.

Le dîner terminé, Jude finit par se coucher le coeur léger à ce constat. Lorsqu'il s'allongea sur les draps, au chaud près du feu, un sourire sincère étira le coin de ses lèvres fines au souvenir de son après-midi. Derrière ses paupières closes, allongé sur le dos et la respiration apaisée, il se remémora la puissance d'Hickstead lorsqu'il était monté sur son dos et, bien plus intensément, le regard de Winston. Le geste avait été anodin, mais il avait encore l'impression de sentir la finesse de son mollet entre ses mains ou encore l'odeur de son parfum qui était venu titiller ses narines lorsqu'il l'avait aidé à grimper sur son cheval. Winston était séduisant de douceur et de mystère et c'est avec le souvenir de son visage, si délicat et si plaisant, que Jude s'endormit.

*   *   *

Le brun fut réveillé en sursaut aux alentours des deux heures du matin. S'il dormait généralement bien, il n'avait jamais eu le sommeil profond et se réveillait donc aisément au moindre bruit suspect. Lorsqu'il ouvrit l'oeil à cette heure avancée de la nuit et que ses oreilles décidèrent de se connecter pleinement à son cerveau, il comprit bien vite que des coups étaient frappés à la porte de sa maisonnette. Surpris mais surtout agacé d'être dérangé dans son sommeil, il s'extirpa de son lit et tira nerveusement la porte vers lui pour l'ouvrir.

— Winston ?

Winston était là, l'air apeuré, les cheveux en pétard et vêtu dans sa robe de chambre. Ses lèvres étaient bleues, car il mourrait de froid, mais il s'en fichait. Très vite, il se mit à parler :

— Je crois qu'Hickstead est malade, couina-t-il. Je ne sais pas quoi faire...

Jude aussi se mit à paniquer. Il adorait les chevaux et ne supportait pas l'idée que l'un d'eux puisse souffrir. Alors, conscient que Winston ne l'aurait pas dérangé si cela n'était pas grave, il enfila une chemise sur son torse nu, passa son manteau et chaussa ses souliers. La porte d'entrée claqua et ils s'élancèrent tous deux dans la nuit, sous la lueur douce et pâle de la lune.

Le dernier AscottOù les histoires vivent. Découvrez maintenant