CHAPITRE 2 | Le nouveau

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La demeure des Ascott se trouvait au centre de Newcastle, à l'orée du Town Moor. Juchée sur l'une des rares petites collines de la ville, la bâtisse imposante donnait sur près de cinq-cent hectares de parc, dont une infime parcelle avait été achetée par la famille Ascott à l'époque de la construction du domaine. Dans ce parc se croisaient divers chemins de balade et de nombreux petits animaux sauvages vivaient tranquillement leur vie, au milieu des bosquets et larges étendues. En raison de la colline, il fallait grimper une pente d'un dénivelé assez important pour espérer atteindre l'entrée principale de la demeure.

Ainsi, ce fut essoufflé que Jude parvint chez les Ascott ce matin-là. Il avait marché plusieurs kilomètres avant d'atteindre le pied de la colline et les derniers mètres jusqu'au portail avaient fini de l'épuiser. La sueur au front, ses vêtements usés débraillés et ses souliers délacés, il s'accorda quelques instants pour reprendre son souffle et s'installa contre la murette qui courrait le long de la pelouse. Les mains sur les genoux, il inspira de grandes bouffées d'air et releva le visage vers le ciel ensoleillé.

— Merde.

Il jura, agacé par cette nausée qui semblait lui bloquer la gorge. S'il aurait aimé se mentir et la mettre sur le compte de l'effort Jude n'était pas bête, encore moins naïf, et savait parfaitement que son envie de rendre son petit-déjeuner était due à sa soirée de débauche de la veille. Une soirée où il avait été question d'alcool, de flirts, de baisers et de sexe, au bordel de Chillingham. S'il s'était dans un premier temps montré raisonnable, les verres de whisky s'étaient vite enchaînés et il avait fini par cesser de les compter. L'esprit embrumé, joyeux et d'humeur joueuse, il s'était retrouvé dans les bras d'un homme sur un sofa et, ce matin-là devant la maison Ascott, ses reins s'en souvenaient encore.

— Vous venez pour l'entretien d'embauche ?

Un homme, tiré à quatre épingles, s'adressa à lui à travers les grilles qui montaient très haut vers le ciel. Par politesse Jude se releva de la murette sur laquelle il s'était assis, s'efforça de se tenir droit, et hocha positivement la tête en guide de réponse. La grille s'ouvrit alors, le bruit de ferraille strident lui arrachant une grimace, et Jude emboîta le pas au domestique chargé de l'accueillir.

Avant d'atteindre la bâtisse, il fallait remonter une longue allée terreuse bordée de jeunes arbres, dans lesquels les oiseaux chantaient. Jude pressa le pas tout en regardant autour de lui d'un air émerveillé, plus habitué aux ruelles du centre-ville qu'aux espaces verts tels que celui-ci. Au loin, il avisa une petite maisonnette au fond du parc ainsi qu'un petit étang.

— Monsieur Cox ?

Henry Ascott l'accueillit, toujours bien habillé et avec cette allure fière qui ne le quittait jamais. Ses mains étaient nouées contre ses cuisses et il détailla le nouveau venu de la tête aux pieds. Tout comme Rode, Jude était un garçon à l'allure débraillée voire négligée, conséquence de la précarité dans laquelle il avait toujours évolué. Ses vêtements étaient délavés voire troués, ses souliers usés, et sa barbe mal rasée lui donnait l'air plus âgé qu'il ne l'était en réalité. Ses yeux bleus, aussi clairs que le ciel, étaient encadrés de longs cils bruns aussi fins que ses cheveux décoiffés. Ce matin-là, Henry Ascott se dit que son potentiel nouvel employé semblait exténué ; ce qui ne présageait rien de bon pour la suite. Pourtant, Rode le lui avait recommandé, il devait donc être à la hauteur.

— Oui, monsieur.

Les deux hommes se mirent à marcher ensemble. S'il aurait plutôt préféré s'asseoir, histoire de se reposer un peu, Jude fit le tour de la maison sans rechigner et déambula sur quelques sentiers du domaine tout en répondant avec politesse aux questions que lui posait Henry.

Le dernier AscottOù les histoires vivent. Découvrez maintenant