CHAPITRE 4 | Le dîner

450 61 15
                                    

Le mercredi suivant, alors qu'une semaine s'était déjà écoulée, Winston s'assit à son bureau à neuf heures tapantes. Ses vêtements étaient lisses, ses cheveux parfaitement coiffés et il arborait un air reposé et serein qui ne trahissait rien de la tempête qui, depuis plusieurs années maintenant, faisait rage en lui. Son professeur, tout aussi tiré à quatre épingles que lui, se trouvait déjà dans la bibliothèque de la demeure Ascott depuis près d'une demi-heure et semblait plongé dans des copies.

— Votre devoir, monsieur Ascott, est juste. Vous avez très bien assimilé et appliqué les dernières leçons.

Satisfait, Winston tendit la main et récupéra sa copie. Les résultats des exercices comptables de son professeur particulier étaient rédigés d'une écriture fluide, à la plume dont l'encre n'avait pas bavée. La copie était propre et ordonnée, à l'image de Winston qui était un garçon très rigoureux.

— Qu'allons-nous étudier aujourd'hui ?

Winston posa la question tout en laissant vagabonder ses yeux sur les étagères de la bibliothèque. En bois massif, elles longeaient le mur le plus long de la pièce et chaque compartiment était rempli d'ouvrages dans lesquels Winston trouvait généralement son bonheur. La lecture, comme l'équitation, était une échappatoire bienvenue dans ce monde qui ne le comblait jamais.

— Les immobilisations. Très utiles pour votre futur poste de chef d'entreprise, monsieur.

Winston tenta de refouler une grimace, en vain. Cette dernière déforma les traits fins de son visage, ce qui n'échappa pas à son professeur, et il baissa la tête sur sa plume qui attendait sagement sur le bureau de gratter un peu de papier.

Plus les jours et les semaines défilaient, plus Winston sentait le moment tant redouté arriver. Depuis sa majorité, ses visites à l'usine aux côtés de son père se faisaient de plus en plus régulières et les conversations au sujet de son avenir au sein de la manufacture étaient monnaie courante au quotidien. S'il avait grandi en sachant pertinemment qu'il serait un jour à la tête de l'entreprise, cela n'en était pas moins resté un genre de non-dit ; une chose rarement abordée, ses parents estimant qu'il était encore trop jeune pour y penser sérieusement. Seulement, il avait fêté cinq ans plus tôt sa majorité et, depuis, tout s'était accéléré. Désormais, comme si la réalité le frappait chaque jour un peu plus, il était terrifié par cet avenir qui se profilait à l'horizon et auquel il ne pouvait échapper.

Devant un tableau, muni d'une craie, son professeur particulier commença à énoncer la leçon du jour. Assis droit sur sa chaise, comme sa mère et Liz le lui avaient enseigné, Winston parvint à se concentrer durant une vingtaine de minutes. Il nota sur sa feuille de papier quelques notions, expliquées et gribouillées sur le tableau par son mentor, avant de lâcher sa plume. Son cerveau s'égara lorsqu'il entendit un bruit, sourd et répétitif, provenant de l'extérieur. Winston s'autorisa un regard par la fenêtre, située derrière le tableau, et une silhouette qui ne lui était pas inconnue se matérialisa aussitôt dans son champ de vision.

Les températures avaient considérablement baissé au cours des derniers jours, entraînant la baisse du stock de bois pour la cheminée. De ce fait, Henry Ascott avait missionné son nouvel homme à tout faire qui, ce matin-là, s'affairait près de l'écurie à couper du bois. La sueur au front, les muscles saillants et le souffle court, Jude leva une énième fois et dans des gestes sûrs la hache, au-dessus de ses épaules, avant de l'abattre sur les buches. Il balança nonchalamment ces dernières dans une brouette bancale, puis répéta l'opération.

Depuis sa chaise, confortablement installé à l'intérieur de la maison, Winston ne perdit pas une miette du spectacle que Jude lui offrait. Même s'il ne le voyait que de dos, ses cheveux décoiffés, son dos fin mais musclé et ses fesses dans son pantalon furent suffisants pour capter son attention.

Le dernier AscottOù les histoires vivent. Découvrez maintenant