Chapitre 3 - Le Héros sans Nom

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Les deux compères atterrirent enfin dans le petit village de Vulgus-Fongus, un énième bled perdu en rase cambrousse comme il y en avait tant au Royaume Feuilleté.

« Et maintenant, on fait quoi ? » s'interrogea le radis à voix haute.

— J'n'en sais rien, lui répondit le citron.

— En plus on est partis vers le nord, j'espère que Pépin n'habite pas dans le sud...

Nos héros entamèrent leur visite dans ce nouvel endroit champêtre, prêts à découvrir si le mystérieux expéditeur était dans les parages. Mais tout comme Bourgapple, Vulgus-Fongus avait été bâti sur un terrain plat, et si une tour aussi haute que celle représentée sur le sceau de cire était dans les environs, ils l'auraient déjà vue de là où ils étaient. C'est alors qu'ils remarquèrent qu'un champignon les dévisageait. Puis un deuxième. Puis un troisième. Puis tous les champignons qui les entouraient, en fait. À première vue, tous les villageois semblaient fongiques dans les parages.

— Vous voulez notre portrait ? leur cria le radis, se demandant ce qu'ils avaient bien pu faire pour attirer leurs regards et redoutant de subir ici la même chose qu'à Bourgapple.

Mais contre toute attente, les champignons leur adressèrent des sourires sincères comme il n'en avait jamais vus.

— Cèpes pas gaffe à nous, on est juste excités comme des truffes ! envoya l'un d'entre eux.

— Comme à chaque fois que le festin nous amène des voyageurs, on est enchanterelle de faire votre connaissance ! renchérit un autre.

Puis, dans cette bonne humeur contagieuse, tous les champignons retournèrent à leurs affaires, les risettes jusqu'aux chapeaux. Nos deux héros échangèrent un regard émerveillé, heureux d'enfin se sentir comme n'importe qui. « N'importe qui... » se répéta Petit Rose. « À partir d'aujourd'hui, je peux devenir n'importe qui. »

Ils s'engagèrent dans le village, œuforiques, ravis de cette étape sur leur route, tout en distribuant des heureux « Bonjour ! » aux villageois sur leur chemin. Les constructions vinrent alors éveiller leur curiosité : les maisons de Vulgus-Fongus étaient construites de façon à ressembler à des champignons géants ! À bien y regarder, tout ici n'était en réalité que champignon : du terrain de spore à l'Académie Célium qu'ils apercevaient au loin, en passant par des boutiques champignons, teintureries champignons, forgeries champignons, tavernes champignons, bancs champignons, fontaines champignons et autres trucs champignons. Il y avait même un musée champignon, c'est pour vous dire ! Un musée devant lequel faisaient la queue... je vous le donne en mille : des champignons.

Mais une statue trônait au centre de ce qui devait être la rue principale, une statue qui représentait étonnamment... un radis.

— Qu'est-ce que c'est qu'cette tambouille ? marmonna Citrov face à l'impressionnant monument, qui jurait totalement avec le reste du décor.

Le radis, sculpté dans une pose héroïque, sa cape dansante figée dans l'éternité, brandissait une prodigieuse épée vers le ciel. Des symboles mystiques étaient inscrits le long du socle de pierre qui la soutenait et que Petit Rose tentait tant bien que mal de déchiffrer. Soudain, la voix d'un vieillard parvint à eux :

« En ton absence charnelle, ton essence demeure. »

Nos héros pivotèrent sur eux-mêmes : un champignon, si vieux qu'il aurait dû être mort depuis, s'approchait d'eux d'un pas mesuré, s'appuyant sur une canne fragile tout en tenant ce qui ressemblait à des lambeaux de tissus antiques.

— C'est ce qui est écrit sur la stèle, continua le vieillard, les larmes aux yeux. Si tu savais depuis le temps que je t'attends.

— Moi ? fit petit Rose, comprenant que ces paroles lui étaient adressées mais ne comprenant pas pourquoi.

Le Royaume FeuilletéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant