Le Royaume Feuilleté

Chapitre 5 - Siropolis

Tout comme la civilisation humaine dont vous faites partie, lecteurs, la civilisation feuilletéenne a une histoire, que je m'en vais vous raconter.

Au commencement émergea l'Age des Plumes, une époque mythique et lointaine où les premiers feuilletéens coexistaient aux côtés du majestueux Gallinacé Orchidacé, au Jardin d'Ébène. Cette période si lointaine demeure voilée de mystère, ses secrets enfouis dans les tréfonds de l'aube des temps.

S'ensuivit l'Age des Prunes, marquée par la découverte, raconte-t-on, de fruits sauvages dépourvus d'âme, suspendus aux branches d'arbres lointains, par les feuilletéens les plus intrépides. Cette rencontre éveilla en eux une profonde crise existentielle, les poussant à quitter la pépinière de celui que l'on appela désormais le Poulet de Lumière. Animés par une quête de sens, ils s'aventurèrent dans des contrées encore inconnues, cherchant à donner un dessein à leur propre existence et érigeant alors les premiers villages, jetant les bases d'une civilisation florissante.

Puis se leva l'Age des Purges, une période tourmentée marquée par les Six Grandes Guerres, une époque que le temps et la honte réduisirent au silence. La plupart des feuilletéens ne voient désormais en elle que des mythes, reléguant ainsi les trois premiers âges au même rang de légende.

Enfin s'épanouit l'Ère des Pulpes, une ère de deux milles années baignées de lumière, de vitalité et d'énergie, où le Royaume Feuilleté prospère, vibrant au rythme palpitant de la jutosité, dans l'ignorance des conflits passés.

L'Age des Plumes, l'Age des Prunes, l'Age des Purges et l'Ère des Pulpes se sont ainsi succédé sur ces terres sans que vous ne le sachiez, sur cette belle planète que nous partageons pourtant. Enfin, je dis « nous », mais vous vous demandez peut-être qui je suis ?

Je suis un feuilletéen. Peut-être un simple témoin des faits qui se sont déroulés dans mes contrées, peut-être l'un des personnages de cette aventure, ou peut-être juste un auteur qui aime délirer ? Croyez-moi, connaître mon identité est inutile et toute recherche destinée à m'identifier déboucherait sur un non-sens, comme toute analyse de cette histoire.

Et d'ailleurs cette histoire, on pourrait dire qu'elle a commencé ici-même, à Siropolis. En des temps immémoriaux, durant l'Age des Prunes, on raconte qu'un valeureux guerrier posa sur ces terres la première pierre de ce qui allait devenir la toute première ville du Royaume Feuilleté, loin de pouvoir imaginer que quelques millénaires plus tard, Petit Rose et Citrov y arpenteraient ses allées en toute méconnaissance de son passé.

Alors que le soleil commençait à faiblir, les portes monumentales de la cité s'ouvrirent, leur révélant une métropole qui défiait les limites de leur imagination. Les rues pavées scintillaient comme parsemées de poussière d'étoiles. Partout, des bâtiments aux façades de verre translucide étaient ornées de cristaux dans lesquels semblaient se mouvoir un mystérieux flux turquoise et flamboyant. Des câbles fluorescents, contenant cette même énergie, s'étendaient au-dessus des boulevards, formant une canopée rayonnante qui alimentait la ville en électricité et qui se reflétaient sur toutes les façades. Les citadins qui inondaient les boulevards étaient vêtus de tenues chatoyantes ornées de ces même étranges cristaux.

Des écrans lumineux étaient dispersés dans toute la cité et diffusaient des informations sur leurs surfaces de strass. Des véhicules mystérieux, propulsés par une force invisible, glissaient silencieusement sur des routes illuminées, laissant derrière eux des traînées de lumière du même mystérieux turquoise que les joyaux. À chaque détour, une nouvelle merveille se dévoilait. Mais parmi toutes, l'une d'entre-elles éclipsait toutes les autres : une gigantesque tour dorée, resplendissante de mille feux, visible de chaque coin de rue de Siropolis. Petit Rose et Citrov se retrouvèrent submergés par la grandeur de la capitale où les cristaux, bien plus qu'un simple matériau, semblaient être le souffle vital de la ville elle-même.