Chapitre 8 - Les Fils de Pulpe

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— Laissez-moi vous parler un peu de mon passé tuberculeux. Mon pomme de père, Patatrick, a toujours été adoré par les politiciens du Parlemangue. Intelligent, charismatique et éloquent, tout le monde l'aimait, de Forest à Forwest. Après avoir mené une incroyable campagne dans tout le Royaume Feuilleté suite à la mort du roi, un bon tiers du peuple vota pour lui et il se retrouva aisément parmi les finalistes du Jeu de la Couronne. Cependant, et c'est là que mon histoire commence, juste avant de se rendre chez Franckipanne pour tenter de s'emparer de la fève, ma pomme de mère lui apprit qu'elle était enceinte, huhu.

Pépin parlait en faisant tournoyer son verre dans sa main, comme s'il revoyait l'histoire à travers l'alcool dansant.

— Je m'appelle Pépin parce que c'est ce que j'étais aux yeux de mon père. Un pépin, un problème, un frein à sa carrière qui se stoppa brutalement à cause de moi. Il fut, malgré tout, davantage apprécié par le peuple pour avoir choisi de renoncer à la royauté plutôt que d'abandonner sa famille. Je me rappelle encore, petit, des gens qui l'acclamaient quand on se promenait. Mon père était adorable avec eux, souriant, chaleureux. Mais une fois rentrés à la maison, il révélait sa vraie nature et me faisait vivre un enfer. J'étais celui qui l'avait privé d'un festin extraordinaire et il me le faisait payer, à grand coup de ceinture sur mes épluchures. Je me rappelle de ses obsèques, le royaume entier était en deuil. Je revois leurs visages plein de mépris quand ils passaient devant moi : je n'étais à leurs yeux qu'un désagrément, un pépin qui avait empêché son père de vivre sa vie, et qui les avait empêché d'avoir le roi qu'ils avaient toujours voulu aduler.

L'histoire entre la gorge, la pomme de terre avala une lampée avant de faire à nouveau tournoyer la vodka.

— Bref, une fois mûr, j'ai pris ma revanche sur mon père et sur ce peuple qui me méprisait. Après avoir récolté suffisamment de voix, principalement de la part de poivrots si je dois être honnête, je faisais partie, à la grande surprise de mes adversaires, des finalistes. Rendu chez Franckipanne, je suis tombé sur la fève et me voilà telle une farce : Pépin à la tête du Royaume Feuilleté.

— Pourquoi vous nous racontez tout ça ? l'interrogea Petit Rose d'une voix navrée, ne comprenant que trop bien la solitude dans laquelle avait vécu le roi.

— Pour que vous compreniez qu'au Parlemangue, bien que je sois le roi, je ne suis pas apprécié par une grande partie de mes pairs. La moindre de mes paroles est tournée en ridicule, mes projets de lois sont rarement exécutés et les rares soutiens que j'ai parmi les gouvernoeufs des autres cantons restent silencieux, par peur de se voir rejeter par la majorité. Si j'ai une certaine juridiction sur Siropolis car le roi est automatiquement promu gouvernoeuf de la capitale, elle est malheureusement bafouée dans la plupart du reste des territoires appartenant aux autres gouvernoeufs. Et ça, ça va être important pour que vous compreniez pourquoi j'ai fait appel à vous.

— Ça fait beaucoup d'infos d'un coup, avoua Petit Rose en hésitant à boire son verre par peur que l'alcool ne l'empêche de comprendre clairement la suite.

— Perso ça fait longtemps qu'j'ai arrêté d'écouter ! balança Citrov en sirotant sa vodka.

— Les bambins, connaissez-vous la sombre histoire de Baltaviah ? leur demanda la patate.

— Dans les grandes limes, lui répondit le radis en repensant à Pépé.

— L'histoire se déroule il y a quasiment mille ans. Baltaviah... était un peu comme mon père, huhu. Acclamée par le peuple, cette imposante salade était en réalité violente et perfide une fois cachée dans sa tanière. Intelligente, charismatique et éloquente, elle parvint à s'entourer de ce que l'on appela le Quatueur, quatre meurtriers dont elle était le chef d'orchestre. Elle s'empara du pouvoir sous un tonnerre d'applaudissements de la part de ses partisans et collaborateurs, lors d'une nuit rythmée d'orages comme le pays n'en avait rarement vu. Motivée par la conviction que les champignons n'avaient pas leur place en ce monde, elle ordonna à tous les gouvernoeufs d'exiler leurs habitants fongiques dans un endroit situé de l'autre côté des Chocobolos, promettant aux habitants que les expulsés auraient leur propre terre indépendante en dehors du royaume. Les gouvernoeufs qui refusaient furent tués par les adhérents de Baltaviah disséminés aux quatre coins du pays, tandis que les champignons étaient en réalité exterminés un à un au sud du Tunhell par le Quatueur. Partout à l'horizon on ne voyait que des incendies. Les rivières étaient pleines de sang, les rues pleines de corps. Baltaviah avait semé la douleur, la crainte et la désolation dans tout le Royaume Feuilleté.

Le Royaume FeuilletéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant