Chapitre 9 : Les larmes aux yeux

1.4K 361 229
                                    

« Ce n'était pas notre moment.
Ce n'était pas notre tour.
Mais peut-être qu'un jour...
Dans une autre vie ? »

Sun to Moon in another life,

Je m'enferme dans les toilettes, le cœur battant à tout rompre, la poitrine compressée par une douleur si profonde que j'en ai les larmes aux yeux.

La musique, belle à couper le souffle, emplit encore mes oreilles.

But listen love, love is not some kind of victory march, no. It's a cold and it's a broken Hallelujah...

La voix infiniment douce de Moon s'est infiltrée en moi comme un poison, et maintenant, elle me rend malade. Sur une délicate ballade de piano, elle m'a séduite pour mieux me faire baisser ma garde et se glisser à l'intérieur de ma tête, et j'ai beau me frapper les tempes avec les poings, je ne sais pas comment faire pour l'en déloger.

Je l'entends, même si je ne suis plus là où il est, le plus loin possible de lui pour qu'il ne puisse pas me voir pleurer.

Comment a-t-il pu me briser en à peine quelques notes ? Pourquoi a-t-il fallu qu'il la joue, elle ? De toutes celles qu'il aurait pu choisir, il s'est mis à fredonner la seule que je ne peux pas supporter. Celle-là plus qu'aucune autre, avec cette tristesse si poignante qu'elle a réussi à exhumer le chagrin que j'ai feint d'oublier et qui infecte désormais toutes les facettes de mon âme meurtrie. Était-ce naïf de ma part de croire que si j'enterrais tout au fond de moi, j'arriverais à vivre comme s'il ne s'était jamais rien passé ?

Une larme solitaire roule sur ma joue.

Mes yeux écarquillés croisent mon reflet dépouillé, et soudain, je n'en peux plus de tous mes mensonges. Ils m'étouffent, ils m'étranglent. Je croyais que j'allais bien, mais Moon m'a ouvert la poitrine comme on éventre une truite pour la vider de ses entrailles, et maintenant, tout me parait insurmontable. Alors je m'effondre en sanglots destructeurs qui m'arrachent le masque de gentil garçon que je porte en permanence, comme s'il s'agissait de ma véritable nature. Ce n'est pas le cas. J'ai tellement voulu me convaincre que j'avais tourné la page, que si je priais assez fort, ça irait mieux, qu'un nouveau départ mettrait fin aux cauchemars. Je me suis accroché à l'illusion que faire semblant d'être fort allait me rendre indestructible. Quelle putain de connerie ! J'aurais dû savoir que ça me reviendrait en pleine gueule.

Fake it until you make it.

Voilà le t-shirt que j'aurais dû me fabriquer.

Fais semblant jusqu'à ce que tu y arrives.

Sauf que je n'y arrive pas.

Et c'est dur de faire semblant tout le temps.

Encore plus quand les anges se mettent à chanter la musique sur laquelle tu t'étais juré de ne jamais dire la vérité sur ce qu'il est vraiment arrivé à ton père.

Dès que je ferme les yeux, je le revois comme si c'était hier, pendu au bout d'une corde accrochée à la rampe d'escalier, oscillant doucement d'avant en arrière, bercé par un doux courant d'air printanier, tandis que l'Hallelujah de Léonard Cohen résonnait quelque part dans la maison.

Il avait l'air apaisé.

Il semblait presque heureux.

Lui qui avait tout perdu...

Je ne demande souvent ce qu'il a trouvé de l'autre côté.

Et je le hais, putain. Je le déteste tellement d'avoir pu nous laisser tomber aussi facilement, comme s'il n'avait attendu que ça pour renoncer et baisser les bras...

UNFAIR Où les histoires vivent. Découvrez maintenant