Chapitre 24 : Une proposition alléchante (1)

1.1K 268 145
                                    

« Je ne t'en ai jamais voulu.
Il m'a toujours été impossible de te détester.
Tu ne comprends pas ?
Je suis à toi, même lorsque tu ne le mérites pas, parce que c'est ça, aimer pour de vrai. »

Moon to Sun in another life,

Mercredi 24 octobre 2012,

Si fébrile que j'en tremble, j'écrase mon doigt sur la dernière touche de mon piano, et sans attendre que la note s'évapore dans l'air, je pose la question qui me brûle les lèvres depuis que j'ai commencé à jouer :

— Alors, Monsieur... Vous aimez, hein ?

Je fixe mon professeur de musique avec un mélange de crainte et d'espoir. Mon cœur tambourine à l'intérieur de ma poitrine, prêt à transpercer mes côtes pour s'y embrocher en cas de réponse négative. C'est la première fois que je suis aussi peu sûr de moi dans ce domaine que j'ai toujours cru maîtriser au-delà de toutes formes de critiques. Avec le recul, je me rends compte de l'ampleur de mon arrogance et du manque cruel d'implication émotionnelle dont j'affublais mes mélodies. Je jouais comme un automate programmé pour reproduire sans ressentir, me focalisant sur la technique plutôt que sur les sentiments, et même si l'exécution était parfaite, je dois bien avouer que Monsieur Henrique avait raison : mes créations n'avaient pas d'âme.

Un squelette sans chair, une maison sans habitants, un miroir sans reflet, rien de plus qu'une coquille vide, voilà à quoi elles ressemblaient...

Désormais, je les habille des lambeaux sanglants qu'il me reste de la mienne, et j'ignore si le résultat est convaincant... ou tout simplement pitoyable.

— C'était magnifique, lâche mon professeur au bout d'une interminable minute.

Son expression grave et sérieuse ternit un peu l'éclat de ma joie, si bien que je ne parviens pas à totalement me satisfaire de son compliment.

— Vraiment ?

Il hoche lentement la tête.

— En toute franchise, tu m'as pris au dépourvu, Moon. Je ne m'attendais pas à ce que tu aies ça en toi... Je pensais te connaître, mais je m'aperçois que ce n'est pas du tout le cas, parce que tu viens de composer l'une des plus belles et des plus tristes mélodies qu'il m'ait été donné d'entendre.

Les battements de mon cœur s'emballent tandis qu'un sourire ravi incurve ma bouche.

— Vous ne dites pas ça pour me rassurer, n'est-ce pas ?

— Tu sais bien que ce n'est pas mon genre, me rabroue-t-il gentiment. J'ignore ce qu'il s'est passé durant ton absence, mais ton approche de la musique à changer. Elle est plus sincère, plus authentique, et elle me parle à un niveau supérieur. Je pense que tu es enfin sur la bonne voie, fiston.

Je suis tellement heureux que je manque de bondir de mon siège pour aller le serrer dans mes bras. Bien sûr, je n'en fais rien. Le pauvre, il a déjà l'air assez embarrassé comme ça... Monsieur Henrique n'est pas réputé pour être très encourageant ou proche de ses élèves. C'est un professeur rigide et introverti, avec une honnêteté brutale qui confine parfois à la cruauté. Raison pour laquelle j'étais mort d'inquiétude à l'idée de lui dévoiler le premier brouillon de ma composition. D'ailleurs, j'ai hésité toute la semaine, pesant le pour et le contre plus d'une dizaine de fois, et alors que je m'étais presque résigné à abandonner, j'ai fini par trouver quelques miettes de courage en m'installant derrière mon piano tant aimé.

UNFAIR Où les histoires vivent. Découvrez maintenant