Noire romance

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Acte 1

L'orage se déchaîna quand elle attaqua la montée. Les phares de la voiture luttaient pour percer l'obscurité opaque sous la pluie diluvienne. Les essuie-glaces tournaient à plein régime, mais peinaient à dégager la masse d'eau qui s'acharnait contre le pare-brise, laissant à sa conductrice une vision parcellaire et presque illisible de la route qui bordait la falaise. Les éclairs zébraient le ciel, illuminant la voie et révélant l'océan en furie, dont les vagues se fracassaient contre les roches escarpées.

La femme, une quadragénaire aux lunettes embuées et aux cheveux ruisselants, combattait les éléments avec une détermination farouche. Sa mâchoire était serrée et les jointures de ses doigts étaient blanchies par la pression qu'elle exerçait sur le volant dans un effort désespéré pour maîtriser le véhicule qui tanguait sur la chaussée inondée, semée de pièges et de débris charriés par les eaux tumultueuses.

Enfin, après avoir traversé quelques kilomètres de terreur, elle la vit... Oui, la maison était là, telle une apparition fantomatique, perchée au bord de la falaise face à la mer déchaînée. Elle avait un air sombre et repoussant. C'était un véritable bastion, marqué par les constants assauts des rigueurs climatiques.

À cet instant, alors que l'atmosphère à l'intérieur de la voiture semblait peser aussi lourd que le ciel lui-même, une voix douce et synthétique rompit le tumulte extérieur :

– Madame, vous êtes arrivée à destination ! Souhaitez-vous que j'initie les procédures de stationnement autonome ? Les capteurs de proximité identifient un emplacement sécurisé, à l'abri des risques de glissement de terrain.

C'était la voix de sa voiture, une Bolok "Solar Energy" de 2055. Ce modèle était bien vieillot et n'assurait désormais qu'un service d'autonomie partiel. Par contre, se garer, il savait encore le faire.

– Oui, tu peux y aller, articula-t-elle en lâchant le volant, d'un air épuisé.

La Bolok se gara alors sur un terre-plein à une vingtaine de mètres de la maison.

– Stationnement terminé, dit la voix. Détection de conditions climatiques extrêmes. Il est recommandé de rester à l'intérieur du véhicule jusqu'à amélioration du temps.

Une nouvelle bourrasque, encore plus forte que les précédentes, secoua et confirma ce diagnostic, comme si la nature elle-même protestait contre sa venue.

– Il faudra bien que je sorte à un moment, dit-elle. Je ne vais pas rester comme ça toute la soirée !

**

À l'intérieur de la maison, dans la pénombre, quelqu'un se tenait immobile et droit face à la fenêtre du séjour, observant l'arrivée du véhicule avec attention. Sa main gantée écartait prudemment les lames du store vénitien pour en élargir le champ de vision, tandis que l'autre tenait un fusil à canon scié qui pointait le parquet.

Les yeux de l'observateur, vifs et malades, ne lâchaient pas la conductrice qui se décidait enfin à sortir du véhicule.

Il la reconnut : c'était elle, LA femme. Belle, grande et racée, dégageant une magistrale aura de grâce, même dans un contexte aussi chaotique. Ses vêtements chics, à présent trempés, collaient à sa silhouette élancée, et ses cheveux détrempés se plaquaient à son visage avec une voracité que seul l'orage pouvait orchestrer. Elle tentait de courir vers la maison, ses talons hauts piquant le sol boueux et instable, au risque de chuter à tout instant. Chaque pas était un combat, mais elle avançait avec résolution.

Et puis soudain, la foudre éclaira son visage, la révélant plus belle et plus attirante que jamais.

Les doigts de l'individu se crispèrent, tordant rageusement les lames du store. Ensuite, d'un mouvement brusque, il redressa son fusil.

Le monstreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant