Chapitre 1

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Perché dans la cabane, les jambes dans le vide, j'observe le paysage d'un œil distrait. Derrière moi, j'entends Jeanne tourner les pages de mon manga ; et comme à son habitude, elle soupire et s'exclame, exubérante. Un coup d'œil en arrière me permet de la voir froncer les sourcils, concentrée, avant de refermer le petit livre avec une grimace. Instantanément, elle lève la tête vers moi et me lance l'objet dans la foulée. Je me tourne pour l'attraper au vol avant qu'il vienne s'écraser trois mètres plus bas.

– T'as aimé ? je lui demande, curieux.

– Oui ! T'as intérêt à acheter la suite.

– Tu me donnes la thune ?

– Absolument pas.

Elle tire la langue et je m'adosse contre les petites planches en bois qui me servent de mur. Du plus loin que je me souvienne, Jeanne a toujours été ma meilleure amie. Ses parents ont débarqué quand elle était encore bébé et ma mère s'est tout de suite prise d'affection pour la sienne, nous liant sans qu'on ne puisse rien y faire. J'ai beau râler constamment, et elle aussi, je suis persuadé que je n'aurais pas pu mieux tomber. En tout cas, j'aurais pu trouver pire — j'estime que c'est déjà une bonne chose.

Quand je pense à elle, quand je la regarde, Jeanne m'apparaît comme un feu ardent qui menace de tout embraser sur son passage. Elle rend ma vie un peu moins molle, un peu plus excitante ; et voir la tête de nos honnêtes citoyens, quand elle débarque avec sa plus belle robe lolita est impayable. Tout le monde la trouve excentrique. Moi je suis juste content qu'elle ait trouvé un style qui lui plaise.

Elle sort un paquet de chips du bac à côté d'elle, s'en sert une pleine poignée et me l'envoie. Une fois encore, je l'attrape avant qu'il passe par-dessus bord. Après avoir laissé tombé un nombre incalculable d'objets en tous genres, dont mon ancienne DS, j'ai fini par exceller à ce petit jeu. Question de pratique. Et de survie.

– T'es prêt pour la rentrée ? me demande Jeanne, brusquement.

– Pas du tout, je soupire. Et toi ?

Elle hausse les épaules.

– Revoir cette bande d'emmerdeurs ? Non merci.

– Ça va, y a des gens cool dans notre classe, je proteste en fronçant les sourcils.

– Genre qui ? me renvoie-t-elle en arquant les siens.

– Genre moi.

– Tu déconnes ? T'es le pire de tous.

Je pose une main sur mon cœur, lui renvoie ma meilleure mimique outrée. Loin de s'émouvoir, elle se contente de me lancer une chips au visage.

Une chose à savoir sur Jeanne : elle ne se laisse pas amadouer si facilement. La plupart du temps, elle ne se laisse pas amadouer tout court, d'ailleurs. Surtout pas par moi.

– Attends, je l'interromps, alors qu'elle s'apprête à renouveler son attaque. Recommence.

– Quoi ?

– Envoie.

J'ouvre la bouche et elle comprend immédiatement où je veux en venir. Ses yeux pétillent, pendant qu'elle prend le temps de viser. Bien plus douée au lancer de livres que de chips, elle rate sa cible et fronce les sourcils.

– C'est toi qu'étais mal placé, ronchonne-t-elle, de mauvaise foi.

– Réessaye !

Sans se faire prier, elle renouvelle l'expérience ; ça a le mérite de nous tenir occupés une bonne poignée de minutes, avant qu'on s'arrête enfin, hilares. Jeanne s'allonge pour observer la cime des arbres et je m'installe à côté d'elle. Je lève le bras, écarte les doigts pour laisser le soleil dessiner les contours de ma main.

Je ne suis pas un secretOù les histoires vivent. Découvrez maintenant