Chapitre 3

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J'arpente les rayonnages du CDI une première fois, puis une deuxième.

Jeanne m'a commissionné pour lui chercher un livre, mais impossible de mettre la main dessus. J'aurais probablement lâché l'affaire, s'il ne m'avait pas été présenté comme un gage de paix. Il faut bien ce niveau de dévotion pour gâcher l'intégralité de ma pause à chercher le bouquin introuvable.

Je refais une fois le tour, m'insère un peu plus dans les rayons. La bibliothécaire ne daigne pas m'accorder d'attention, concentrée sur son ordinateur et j'hésite une seconde à lui demander de l'aide. Avant d'abandonner.

Le silence est profond et infini — le malaise me gagne en même temps que je me demande ce que je fais ici. Ce que je fais encore ici, en tout cas.

Après une autre tentative de recherche infructueuse, j'en viens à la conclusion que Jeanne m'a envoyé chercher un livre qui n'existe pas. Je plisse les yeux, adresse un regard noir à un rayonnage. Elle va m'entendre, celle-là.

Ou pas.

Je tiens à la vie.

Mécontent, je finis par déboucher sur la zone ordinateur et m'apprête à faire demi-tour quand une silhouette familière capte mon regard.

Il y a quelqu'un d'autre, finalement.

Je m'approche à pas de loup, finit par mettre un nom sur la personne. C'est Eliam, qui tape sur son clavier à la vitesse de l'éclair, légèrement penché vers l'écran. Il a l'air profondément concentré, totalement isolé du monde extérieur. Il ne m'entend pas, alors que je m'approche de lui.

Est-ce qu'il travaille pour le cours d'art ? On a pas encore de devoirs, mais il m'a l'air d'être un élève sérieux, contrairement à moi.

Avec le sentiment de faire quelque chose d'extrêmement intrusif, mais piqué par la curiosité, je jette un coup d'œil à l'écran. Du texte et encore du texte. Un logo, en haut de la page, attire mon attention.

– Wattpad ? C'est quoi wattpad ? je demande, brisant le silence épais de la salle.

Eliam sursaute et ferme brusquement la page, avant de m'adresser un regard apeuré. L'expression terrorisée sur son visage me fait penser à un petit animal. Comme le chat de Jeanne dès qu'on a le malheur de faire un bruit un peu trop fort.

– Eliam ?

Il semble enfin reprendre ses esprits et secoue la tête. Immédiatement, son visage devient inexpressif et sa voix, quand il me répond enfin, tonne froidement dans la pièce déserte :

– C'est rien.

– Ça avait pas l'air d'être rien, j'insiste.

Il se détourne et, sans un mot de plus, éteint son ordinateur. Je sais qu'on est pas les meilleurs amis du monde, mais sa réaction me paraît quelque peu excessive. Je ne l'ai pas insulté, à ce que je sache.

Bon, il paraît que je peux être un peu trop curieux. Mais j'ai fini par prendre de mauvaises habitudes, avec une meilleure amie aussi curieuse que la mienne. Elle fait partie de ces gens qui n'ont honte de rien et répondent à toutes les questions avec une franchise déconcertante. C'est peut-être pour cette raison qu'elle n'a que peu d'amis ; et qu'elle a la fâcheuse tendance à me refiler tout ce qui est sociabilité. Elle sait que je suis bien plus à l'aise qu'elle, là-dedans.

Alors pourquoi est-ce qu'Eliam me résiste ?

Je l'observe sans me cacher, pendant qu'il range ses affaires dans son sac. J'enfonce mes mains dans mes poches, affecte une attitude détendue, avant de lui demander, lentement :

Je ne suis pas un secretOù les histoires vivent. Découvrez maintenant