La journée passe à une lenteur désespérante et Jeanne ne cesse de me piquer avec la pointe de son crayon à papier dès que j'ai le malheur de me plaindre. Et même quand je me contente de faire semblant de ronfler.
Sa passion dans la vie consiste à me donner des leçons, alors même qu'elle est loin d'être une meilleure élève que moi. Encore une chose à savoir sur Jeanne : elle adore ça, donner des leçons. Quand j'ai subi ma première peine de cœur, elle était là, plantée devant moi, à agiter le doigt de droite à gauche en gueulant qu'il fallait se relever, que tout irait bien, que j'en trouverai une autre, que j'étais trop jeune pour avoir déjà rencontré l'amour de ma vie.
Quand on était petits et que je me blessais, elle n'arrêtait pas de dire que c'était rien, que c'était dans ma tête, que j'étais un grand garçon. Elle a arrêté le jour où elle m'a forcé à traîner la patte jusque chez moi, pour apprendre plus tard que j'avais en fait la jambe cassée. Maintenant, elle se contente de me fixer du regard, sourcils froncés, comme si elle était capable de me scanner pour savoir si je souffrais vraiment.
Dans ces moments-là, il faut avouer qu'elle me fait un peu peur.
J'étouffe un bâillement et le coup de coude que je reçois en retour manque me faire tomber de ma chaise. Je me rattrape de justesse à la table, renverse par erreur ma trousse qui vient se fracasser par terre. Évidemment, mes stylos suivent le mouvement, s'éparpillent, roulent jusqu'à heurter une paire de baskets.
– Non mais ça va pas la tête ? je râle, en adressant un regard noir à ma meilleure amie.
Devant son absence totale de réaction, je marmonne à l'intention du nouveau venu :
– Excuse-la, elle est mal lunée.
Je me baisse pour ramasser mes affaires en même temps que mon camarade.
La scène me rappelle les films romantiques que Jeanne me force à regarder — je n'arrive pas m'empêcher de pouffer. Accroupi, il m'adresse un regard méfiant sous ses cils ; je réponds d'un haussement d'épaule, en arborant mon air le plus angélique possible.
Ses cheveux, rasés sur les côtés, forment des bouclettes sur le haut de son crâne, qui retombent sur son visage et lui masquent un œil. Sans un mot, il me tend ma trousse et se relève dans le même élan. Je n'ai même pas le temps de le remercier qu'il est parti s'installer à l'autre bout de la salle.
Le regard toujours fixé sur l'adolescent, j'interroge ma voisine :
– C'est qui ?
– T'abuses Maxie, râle Jeanne. Il était dans notre classe en troisième.
– Ah bon ?
– Ouais. T'es vraiment le roi des cons.
– Il s'appelle comment alors ?
– Eliam.
– Mh. Ok.
Je continue d'observer Eliam, qui prend un malin plaisir à éviter le moindre coup d'œil dans notre direction. Il n'a beau m'offrir que son profil, ses paupières entrouvertes attirent instantanément mon attention. Je prends le temps de détailler ses cheveux noirs et ses iris presque aussi sombres ; il arrive, sans le moindre effort, à cultiver ce que je cherche depuis des années maintenant : une aura mystérieuse. Moi qui suis aussi transparent qu'une pochette en plastique, je ne peux pas rivaliser.
Le coude sur la table, le menton dans le creux de la paume, je le regarde encore quelques instants avant de tourner la tête vers Jeanne.
– Il est stylé, son regard. Tu crois que ça me va bien aussi ?
VOUS LISEZ
Je ne suis pas un secret
RomanceC'est... une trousse qui se renverse, un bout d'écran, des rêves pleins la tête. C'est Maxence, qui n'aime rien de plus que passer du temps avec sa chienne et sa meilleure amie. C'est Eliam, qui désire seulement passer inaperçu, parvenir jusqu'à la...