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EVA


"Putain, Eva, t'es tellement belle", me souffle-t-il, avant de m'embrasser comme si mes lèvres ne lui appartiendraient bientôt plus.

Ce n'est pas totalement faux d'ailleurs.

Paul est gentil, mais mon cœur a fini par se lasser du garçon mignon qui faisait perdre leurs mots à toutes ces gamines entichées depuis le collège. Il m'a choisie moi le jour de la rentrée, l'année dernière, lorsqu'il s'est assis sur la place libre à côté de la mienne, braquant tous les regards sur nous dès l'instant où il m'a adressé quelques mots. Je crois que ce qui lui a plu, c'est justement l'insensibilité et la froideur que je lui témoignais, avant que mes sentiments prennent le dessus sur ma nature.

Il pose ses mains chaudes autour de ma taille pour m'attirer à lui.

« Ça ne va pas, mon ange ? », demande-t-il, lorsqu'il se rend compte que je ne lui rends pas son baiser comme je le fais désormais machinalement.

Evidement que ça ne va pas, imbécile.

« Tu ne te sens pas bien ? Parle-moi, ma chérie ».

Comme si tu pouvais comprendre, Paul.

« Eva ? » me chuchote-t-il doucement.

Une larme roule sur ma joue, puis une deuxième. Je me lève, me dégage de son étreinte, et je m'en vais en courant, sans dire un dernier mot au seul garçon qui ne m'ait jamais vraiment aimée. Et le pire, c'est que ce garçon ne me connaît même pas. Mes jambes me portent sans que je ne leur ordonne rien, et je n'ai absolument aucune idée de l'endroit où elles m'emmènent. Peu m'importe tant que c'est loin de lui, de tout et de tout le monde. Mes larmes me brouillent la vue mais je cours quand même sans ralentir, parce que je n'en ai plus rien à foutre. Je manque de me faire renverser par une voiture, et je me surprends moi-même à regretter qu'elle n'ait pas continué sa route sans m'éviter. Allais-je si mal que je me fichais de vivre ou de mourir ?

Haletante, je m'arrête enfin et m'écroule sur l'herbe fraîche de cette fin d'après-midi. Enfant, j'adorais venir jouer ici avec mes deux petits frères ; nous courions en tous sens à l'air libre, donnant quelques heures de répit à nos parents. Je me raccroche à ce souvenir heureux et finis par m'endormir d'épuisement, les joues baignées de larmes incontrôlables.


Ils sourient, me regardent et murmurent entre eux comme si je n'existais pas. Puis l'un d'eux me pointe du doigt, s'approche de quelques pas puis recule brusquement lorsqu'il fait semblant de sentir le parfum à la vanille que j'ai mis ce matin avant de partir. Les autres rigolent ; une professeure passe à côté de nous en m'adressant un sourire qui se veut peut-être compatissant. J'ai soudain chaud, mes joues rougissant de honte. Une fille chuchote quelque chose dans l'oreille d'une autre, puis elle ajoute, assez fort pour que je puisse l'entendre, « Regarde le visage tout rond d'Eva. On dirait qu'il va fondre sous l'effet de la peur ». Sa remarque entraîne à nouveau les gloussements de la petite foule regroupée autour de moi. « Peut-être fera-t-il fondre tout le reste de son corps, et alors plus personne n'aura à s'encombrer de cette petite conne », ricane une autre fille devant moi.

Paralysée, je n'ose rien dire face à cette bande de loups affamés. La sonnerie annonce la reprise des cours, mais ils ne semblent pas en avoir fini avec moi pour autant. J'ai envie de pleurer, mais je retiens mes larmes pour ne pas leur laisser l'occasion de m'enfoncer encore davantage sous terre. Une surveillante nous intime de rejoindre notre classe, entraînant les derniers regards noirs des filles et des quelques garçons qui me bousculent en passant devant moi. Je m'apprête à me rendre moi aussi en classe, lorsque le dernier garçon fait volte-face et me souffle lentement à l'oreille « On est très loin d'en avoir fini avec toi, Eva ». Ses mains effleurent mon ventre avant d'agripper fermement ma taille. Ses doigts refermés sur ma peau pourtant si chaude me glacent le sang.

InsolentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant