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Eva


« C'est de la pure provocation. Ce mec n'est carrément pas respectueux, tu perds rien », me rassure Manon assez fort pour être entendue de Paul et de la fille qu'il semble afficher comme sa nouvelle copine.

C'est vrai qu'il n'aura pas perdu de temps. Un an de relation réduit à néant en à peine deux journées et la première venue. Peu importe. Mon ego s'en remettra ; et au moins n'ai-je plus à culpabiliser de quoi que ce soit ou à regretter ma façon d'avoir agi.

Un signe de tête suffit à faire comprendre à mon amie que je préfère m'en aller. Nous nous levons, prenant bien garde de rire à gorge déployée en passant devant Paul et la blonde différente en tous points avec moi. Me félicitant intérieurement de contrôler mes émotions et les traits de mon visage à la perfection, je ne manque pas de jeter le plus grand sourire satisfait dont mes lèvres sont capables dans la direction de Paul, dont les yeux ne m'ont pas quittée depuis que Manon et moi nous sommes agitées. Leur balançant un dernier regard venimeux, je m'enfuis dans les couloirs sinueux du lycée.


Tout mon corps bouillonne de rage. Je ne croyais pas qu'il soit possible de détester aussi fort quelqu'un, et encore moins plusieurs personnes. Ma haine est tellement intense qu'elle dépasse l'entendement, écrasant toute règle sociale, émotionnelle ou intellectuelle. Ce sentiment si puissant me surprend moi-même au moment où je m'y attends le moins, me redonnant force et courage lorsque j'en ai tant besoin. Mais c'en devient d'autant plus perturbant quand, malgré la profonde aversion que je ressens contre eux, tous les efforts du monde ne suffisent pas pour que j'ose répliquer quoi que ce soit pour me défendre. Rien ne semble suffisant pour que je sois capable de protéger mon cœur et mon corps de toutes leurs piques lancées comme des bombes. Savent-ils ce qu'ils m'infligent ? Admettre que l'on est trop faible pour se protéger soi-même, c'est comprendre qu'il est trop tard pour agir.

Pourtant, j'ai toujours pensé que c'est grâce à cette haine que je combats ma souffrance. La rancœur et l'animosité qui m'habitent parfois prennent trop de place pour permettre à la douleur et à l'abattement de s'épanouir comme ils aiment tant le faire. Seule, perdue, et tétanisée de peur, j'affronte, j'encaisse, et je recommence. Parce qu'il n'y a rien d'autre à faire.


« Hé, Eva, t'es avec moi ? s'inquiète Manon en agitant les bras comme si j'étais devenue folle.

- Oui, oui, je suis là, excuse-moi, j'étais partie ailleurs, lui dis-je, en riant pour échapper à d'autres questions qui me mettraient mal à l'aise.

- Tu me fais un peu peur, quelquefois, tu sais. C'est à cause de Paul ? tente-t-elle.

- Non, ne t'inquiète pas, c'est moi qui ai mis fin à notre histoire. Je ne vais quand même pas me morfondre parce qu'il est allé voir ailleurs, assuré-je, consciente que ma meilleure amie ne se laisserait pas berner si facilement.

- Mais ?

- Tout va bien, je te dis ».

Interrompues par la sonnerie annonçant la reprise des cours, ni Manon ni moi n'avons le temps de poursuivre. Je remercie ce gros coup de chance de m'avoir sauvée, et nous rentrons dans la salle.


Après trois heures de cours harassantes, notre petit groupe exclusivement féminin (dont les membres, hormis Manon, ne me font pas plus confiance que je ne les considère personnellement) se dirige vers la sortie du lycée pour aller déjeuner à l'extérieur de cette cage dorée. C'est ainsi que je l'appelle depuis que j'ai compris que l'apparente liberté qui nous est gentiment offerte est souvent vite rayée par les obligations, les règles et les mesures de sécurité imposées par la sainte direction. Sainte direction qui, à mon avis, n'en mène pas large non plus ; mais qui, malgré tout, est plus haut placée que nous élèves.

InsolentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant