Nick


« On dirait que ces connards n'ont pas menti », parlé-je tout bas, admirant la villa qui se pavane fièrement devant mes yeux.

Je pense à l'appartement pourri dans lequel nous vivons depuis plus de six ans, et je me dis que le quart de cette baraque suffirait à mettre des étoiles dans les yeux de ma sœur. Mais même le huitième ne serait pas dans nos moyens.

J'entre, enjambe deux mecs torchés étalés sur le sol et fais face à une horde de gamins qui n'ont rien trouvé de mieux à faire que de venir se bourrer la gueule entre potes. La plupart espèrent repartir d'ici avec une pauvre fille bourrée dans leur lit qui aura à peu près tout oublié le lendemain.

Je fais quelques pas, l'odeur de bière me chatouille les narines et me prend violemment aux tripes. L'odeur de mon père. L'alcool qui imbibait ses vêtements et moi enfant qui trouvais ça normal. Lui soûl qui buvait et se droguait jusqu'à l'épuisement.

L'odeur qui flotte dans la maison me retourne l'estomac à l'instant où je pose mes pieds à l'intérieur, mais je chasse mes pensées d'un battement de cils et m'enfonce dans le labyrinthe de ces corps surexcités et soudés les uns aux autres.

J'aperçois quelques mecs de ma classe, mais je baisse la tête pour éviter de croiser leur regard. Pas envie de discuter ici et encore moins maintenant. 

En fait, je ne sais même pas ce que je fais là. Je déteste ces soirées à la con mais je trouve toujours le moyen de me pointer quand même. J'erre comme un fantôme puis je rentre chez moi mélancolique. Nostalgique d'une époque qui n'a jamais vraiment existé.

Je traverse ce qui semble être un immense salon, ignore le couple plutôt démonstratif sur le canapé puis arrive dans une cuisine, où des dizaines de bouteilles et de timbales sont étalées sur le plan de travail. Deux filles un peu paumées ont l'air de chercher de quoi être définitivement perdues et le type avec elles s'approche de moi. Je vois à son visage qu'il ne sait plus vraiment ce qu'il fait, mais ça ne l'empêche pas de remarquer la sale gueule que je tire.

« Tiens mec, bois ça, ça va te détendre un peu, dit-il en me tendant un verre à moitié plein d'un liquide sombre.

-         Dégage, connard », répliqué-je tellement froidement que ses yeux vitreux se détachent instantanément des miens.

Il sort de la pièce, les filles sur ses talons, et je respire à nouveau.

Je trouve une timbale vide et me sers un Coca avec la dernière bouteille restante. Il n'est plus très frais, mais je m'en fous parce que ça suffit à me rafraîchir les idées et à dissiper l'odeur de bière qui me noue la gorge depuis que je suis arrivé.

Je poursuis mon tour de la villa en longeant un très long couloir un peu à l'écart du reste de la fête. Je croise encore quelques couples en chaleur qui s'apprêtent à entrer dans des chambres dont ils n'ont sûrement pas le droit d'accès. Mais j'imagine que c'est ce qu'ils recherchent. Le goût de l'interdit ; du danger, ça les excite. Jusqu'au lendemain, lorsque certains d'entre eux n'auront peut-être plus aucun souvenir de cette soirée ; alors ils regretteront, et n'auront plus que leurs yeux pour pleurer.

Une fille passe devant moi, défoncée, et se dirige vers la salle de bain. Peut-être pour vomir, peut-être pour pleurer. Je m'apprête à la suivre, l'aider, lui demander si elle a besoin que je la ramène chez elle, lui donner un mouchoir, un verre d'eau, mon épaule, mais je change d'avis et continue mon chemin. L'état de cette fille ne me regarde pas, et elle n'avait qu'à être plus attentive au nombre de verres consommés durant la soirée. Maintenant, c'est à elle de prendre ses responsabilités. Ça ne lui ferait pas de mal d'assumer. Et puis elle n'est pas venue seule, elle a forcément un ami ou n'importe qui pour venir à son secours. J'essaye de ne pas superposer le visage de cette pauvre fille avec celui de mon père ivre, vide de sens.

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