Eva


J'ai toujours adoré l'odeur de la vanille.

Toujours. Plus encore que la délicieuse odeur de noix de coco.

La vanille est délicate, elle est apaisante. Son arôme est doux et intense, plus encore que les parfums tellement sucrés des autres filles de ma classe. Pour moi, respirer la vanille qui imbibe ma peau est plus qu'un plaisir ; c'est un privilège. Et quiconque a le droit de goûter à ce privilège doit appartenir à un cercle restreint, sinon l'odeur rassurante ne deviendra plus qu'une odeur parmi tant d'autres.

Un cercle restreint.

Mais j'ai cligné des yeux, et ils m'ont volé ma vanille, parce qu'ils préfèrent l'arôme amer de ma peur.

Putain d'arôme amer.

Je les ai laissés entrer dans le cercle des privilégiés, et ils m'ont forcée à sentir la peur en échange, pour que je regrette de leur avoir fait confiance aussi vite que s'est envolée l'odeur de vanille.

Peur de regretter, regretter d'avoir eu peur ; encore et encore.

Je peux m'asperger d'autant de vanille réconfortante que le flacon le veut bien, en me réveillant, un peu le matin, puis l'après-midi, et encore le soir ; mais cela ne change jamais rien. A l'instant où leurs yeux se posent sur moi, je me désintègre tout entière et laisse la terreur me saisir. Alors, lorsqu'ils voient que chacun de mes pores transpire la peur, lorsque leurs rires résonnent atrocement fort à mes oreilles, j'ai l'impression qu'on me poignarde de toutes parts jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que l'odeur de ma peur qui flotte dans les airs. Et je crois que cet arôme acerbe, c'est ce qui les excite le plus dans tout ce jeu de cauchemar.

Cauchemar. Mes larmes coulent, et ça me fait mal.

J'ai appris à aimer le goût de mes larmes.

Ceux qui disent que les larmes sont salées n'ont jamais pleuré. Du moins pas comme je pleure, moi. Elles ont aussi un goût d'amertume. L'amertume de la vengeance. Un sale goût d'espoir.

Depuis que j'ai compris que les larmes sont amères, je les goûte chaque fois avec la pointe de ma langue, pour que l'espoir me réchauffe le cœur, comme si pleurer pouvait tout effacer.

Tout effacer.

Elles avancent et m'observent.

Il me bande les yeux.

« Jolie petite salope », il chuchote.

Elles rient.

Un ongle lacère la peau de mon bras.

Lui respire dans mon cou.

Je pleure en silence.

Un deuxième ongle déchire ma cuisse.

Il capture mes mains moites dans la tiédeur des siennes.

Son souffle chaud s'approche de mon visage.

Leurs rires se suspendent dans l'air.

J'essaie de supplier.

« Chut, Eva. Il faut taire ces belles lèvres de pute », il murmure.

Et sa bouche épaisse s'abat sur la mienne.


J'ouvre les yeux, le visage ruisselant, et j'ai envie de hurler, mais mon corps n'obéit pas tout de suite. Le temps pour moi de me rendre compte que je suis dans ma chambre, et que crier alertera mes parents ou mes frères à l'étage du dessous. Alors je m'en empêche, chasse mes larmes et les souvenirs qui me hantent d'un revers de la main. Je retire la capuche du sweat blanc qui recouvre presque tout mon corps au-dessus des genoux, puis j'entreprends de brosser ma longue chevelure.

InsolentOù les histoires vivent. Découvrez maintenant