Eva


« T'es répugnante, Eva ».

« C'est mieux quand t'es pas là, tu sais ».

« Ta mère ne t'a jamais avoué que t'es un accident, Eva ? Un accident ! Qui aurait voulu de toi ? ».

J'ai l'impression de recevoir un coup de poing dans les côtes à chacune de leurs paroles. Que mon cœur rate un battement chaque fois que je sens leurs rires transpercer ma chair.

« Moi, j'aurais voulu d'elle ».

Mon cœur s'arrête complètement. Une voix féminine, timide mais ferme, aigue mais puissante. Je me retourne et vois pour la première fois ma sauveuse, à travers mes yeux embués de larmes. Elle n'ajoute rien, jette un regard merveilleusement dédaigneux aux sbires muettes de stupéfaction, avant de tourner les talons et de repartir au paradis. Pas de sourire pour moi, pas même un regard. Mais je m'en fiche. Quelqu'un a parlé. Alors, le cœur gonflé de courage et de fierté, je m'en vais à mon tour.


J'essuie mes yeux humides. Je n'ai plus jamais revu cette fille, mais son souvenir me hante encore souvent. Ma première victoire. La première main tendue. Quelqu'un qui a pris ma défense. Enfin. Une espèce de bouffée d'oxygène qui m'a redonné un peu d'espoir. « C'est encore possible, Eva », a chuchoté la petite voix en moi. Je rêve souvent de l'intonation rassurante avec laquelle ma sauveuse a prononcé ces quelques mots, qui se superposent aux paroles crachées des autres jusqu'à parfois les effacer. Je balaie ces vieilles pensées d'un sourire scotché au visage, et je sors rejoindre Manon et son groupe de copines apparemment attaché à moi aussi.

« Tes cheveux sont vraiment magnifiques, Eva », s'exclame déjà l'une d'entre elles, les yeux brillants de vide et d'une sorte de tristesse envieuse.

Je lui adresse un sourire qui se veut sincère, mais je suis surtout mal à l'aise. D'abord pour l'emploi de mon prénom à la fin d'un compliment, après une courte pause, comme si elle était eux ou qu'ils étaient elle. Ensuite parce que sa sincère admiration pour moi me rappelle la petite fille que j'ai longtemps été. Me comparer à des milliers de filles plus belles que moi, plus heureuses que moi, comme si ça changerait quelque chose. Complimenter par habitude sans jamais être complimentée en retour. Aimer sans être aimée, en quelque sorte.

« D'ailleurs j'adore la couleur de ton rouge à lèvres, où est-ce que tu l'as acheté ? lui demandé-je en retour, sur un coup de tête, assez fort pour que tout le monde m'entende.

Je n'écoute pas sa réponse mais vois son visage s'illuminer et j'ai le sentiment d'avoir regonflé son égo et sa confiance en elle en trois secondes. Je ne connais pas même son prénom mais suis très satisfaite de moi-même si mon petit commentaire peut lui permettre d'être heureuse et de ne plus se comparer sans arrêt. Et puis son rouge à lèvres n'est vraiment pas mal. Je crois que j'ai le même égaré quelque part chez moi.

Manon me regarde, surprise, parce qu'elle sait que ça ne ressemble pas beaucoup à mon masque froid, mais elle semble fière de moi, et ça ajoute à mon bonheur personnel.

Je me laisse trainer jusqu'au café le plus populaire aux alentours du lycée et m'installe sur la banquette, dos à la fenêtre mais face aux autres tables de la pièce. Je crois que l'ambiance du café est supposée être propice au travail des étudiants, mais j'ai toujours trouvé que l'espace gérait mal le bruit et que le confort des fauteuils et la présence tape-à-l'œil des coussins dissuadaient quiconque de bosser. Pourtant, quelques assidus ont sorti leurs ordinateurs, leurs cours et leurs écouteurs pour se motiver.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 31 ⏰

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