.... et c'est la diversité qui fait le kitsch. Trente-sept pays balancent un échantillon de ce qu'ils sont culturellement, intimement. Et parfois ça décoiffe. Certains participants sont tellement sans filtre que c'est presque une thérapie de groupe. A travers ces spectacles décomplexés, «plein les yeux», c'est une mentalité nationale qui se déploie en deux minutes et demie.
Comme on a découvert des mondes inconnus avec les séries étrangères sur Netflix, l'Eurovision d'aujourd'hui nous ouvre à des perceptions impensables. Par exemple les mille déclinaisons de l'érotisme sur scène nous en disent plus sur le pays que n'importe quelle étude. Les gestuelles extatiques, l'exhibitionnisme rigolard de certains groupes sidèrent, c'est burlesque, audacieux, moche mais tellement rafraîchissant. Ils se donnent tous à fond, ils jouent leur rôle, ils y croient, c'est plus fort que les jeux olympiques !
Les chansons sont courtes, elles s'enchaînent à toute vitesse, donc on n'a même pas le temps de se moquer. Pyrotechnies baroques, costumes tarabiscotés, ballets délirants, nudités risquées, pitreries « no limit »... Les groupes déjantés du nord de l'Europe, Finlande, Norvège... font très fort. Mais aussi les filles canons des pays de l'ex-yougoslavie (tantôt irréelles de minceur ou carrément obèses), les folies sensuelles des latinos, les audaces transgenres... On a vu ce soir-là plus d'hommes à poil que d'habitude, un signe.
Justement, quand on ricane sur l'Eurovision, on l'oublie mais ce concours a beaucoup fait pour émanciper les esprits. Ouvrir la télé à tous les LGBT+. En matière de glamour et d'inventivité, ce sont les artistes « trans » qui ont dé-ringardisé l'Eurovision. Pas seulement Conchita Wurst la gagnante 2014, les autres « queer » moins cotés aussi ; ils ont hissé cette compétition réputée « popu » au top du show branché-décalé-à-ne-pas-rater. Le samedi de la diffusion, plein de cafés, de bars parisiens vivaient à l'heure de Malmö !
C'est donc Nemo, le chanteur suisse en tutu se revendiquant non-binaire (donc ni garçon ni fille) qui l'a remporté. Et c'est mérité. Dix ans après la victoire de Conchita Wurst, drag-queen autrichienne et sa chanson « Rise like a Phoenix » aux accents james-bondiens, cet elfe helvète a réinventé l'identité suisse. Comme Conchita en barbe noire et fourreau de dentelle modernisait d'un geste l'image de l'Autriche, Nemo a fait entrer le pays des banques et des alpages au panthéon de la poésie, virtuose.
Ce sont 160 millions de télespectateurs de la communauté radiophonique qui ont voté pour ce garçon en jupette, doux, bouclé, jongleur qui revisite les standards masculin-féminin. Sociologiquement, ça piétine quelques lieux-communs attachés au spectacle « grand public ». Les programmateurs de certaines chaînes devraient s'interroger sur leurs refus timorés devant certaines émissions et reportages proposés par des journalistes, et qu'ils jugent trop osés. Tous les producteurs ont entendu cette phrase : « C'est pas notre public ». Petits hommes gris assis sur leurs certitudes....
Les conventions érotico-bourgeoises ont la vie longue, même à l'Eurovision. Nemo le Suisse cohabitait par exemple avec le groupe espagnol tellement « too much » : entre s-m et « cougar », critiqué pour son titre Zorra (« chienne » en argot), il apparaissait là, franchement ringard.
Et la France ? Elle a jugé n'avoir pas besoin de jouer l'ouverture gay-friendly. Gay-friendly, elle l'est depuis longtemps. Bon, pas partout, le combat n'est jamais fini. Heureusement que Slimane, voix et sourire sensuels, costume translucide immaculé, très original, coiffure raffinée, déployait sa beauté irrésistible et son image de paix qui unissaient les âmes de tous bords. On aurait pu l'accuser de conforter les préjugés de genre. Il a quand même réussi à imposer tout seul, sans ballet, sans effets, l'inoxydable « French Lover » en 4eme place. Au regard des autres prestations, certains mauvais perdants l'ont trouvé « paresseux ». Gros effet pour un effort minimal...
Le charme français ?
DU LIEST GERADE
Das Verweilen an wahnsinnigen Orten
NonfiksiSelig sind, die da hungern und dürsten nach der Wahrheit, denn sie werden gesättigt werden.