- Brin - Magique - Ramper - Muguet - Gâteau - Fantasmagorique - Six - Anneau - Serré - Loin –
Non mais qu'est-ce qui m'a pris de lui demander son numéro ? se sermonnait Apolline tandis qu'elle s'installait au volant de sa voiture. Elle boucla sa ceinture dans un geste réflexe. Démarra le moteur. Et comment peut-on à ce point hésiter entre l'envie de se jeter dans les bras d'un homme et celle de le prier de quitter sa vie comme il y est entrée, illico presto et sans bruit. Les mains sur le volant, elle appuya sur l'accélérateur avant de piler. Un véhicule avait surgi devant le nez de sa voiture. Un véhicule qu'elle aurait dû voir, si tant est qu'elle se soit montrée attentive et vigilante.
- Reprends-toi, Apolline, s'ordonna-t-elle. Reprends-toi !
Imposer le silence à son esprit ne fut pas aisé. Tels des serpents sournois, elle sentait le tumulte de ses émotions et de ses questionnements intérieurs ramper sournoisement derrière la barrière de raison qu'elle avait maladroitement dressé. A l'affut de la moindre faiblesse de sa part, ils menaçaient constamment de briser sa concentration.
Elle parvint néanmoins à l'hôpital dans un délais raisonnablement rapide et en un seul morceau. Elle posa, plus qu'elle ne gara, sa voiture à la place qui lui avait été tout récemment attribuée. Elle n'était pas encore tout à fait à côté de la porte d'entrée, mais elle ne s'en trouvait pas loin non plus. En quelques pas, elle fut à l'intérieur. Une infirmière l'attendait.
- ah vous voilà ! s'exclama-t-elle dans un soulagement évident. C'est Gaël, il est au bord de la panique. Il ne veut parler qu'à vous.
- Iel, ne pus-je m'empêcher de la corriger, malgré l'urgence.
Je vis le visage de l'infirmière se fermer aussitôt, les lèvres soudain serrées dans une attitude de profond mépris elle s'apprêtait à protester. Mais je pris les devants.
- je me fiche de savoir si vous comprenez ou non. Je me fiche de savoir si vous approuvez ou non. Gaël mérite tout autant le respect que n'importe quel patient en ces lieux. Gaël ne se reconnait dans aucun genre. Ni homme, ni femme. Iel est non binaire. Et il serait grand temps que vous respectiez cela. A défaut d'autre chose, cela pourrait au moins faciliter le dialogue avec iel, vous ne pensez pas ?
Je ne lui laissais pas le temps de répondre. Je partis à grand enjambées apporter mon aide à Gaël.
- un, deux, trois... nous irons au bois ; quatre, cinq, six... cueillir des cerises ; sept..
Gaël s'interrompit dès qu'il me vit. Il rougit violemment.
- Chantonner est un bon moyen de se calmer, dis-je simplement dans un sourire que j'espérais apaisant.
Je ne fis aucun commentaire au sujet de la nouvelle blessure qu'il arborait au bras. Je ne lui demandais pas comment il avait fait. Le moment n'était pas encore venu de le faire. Je fis cependant un rapide calcul mental : 3 semaines. Iel avait tenu trois pleines semaines depuis la dernière fois qu'il avait cédé à la tentation de s'auto-mutiler.
- Un cauchemar... murmura-t-il. C'était un stupide cauchemar. Juste un cauchemar.
Iel baissa les yeux sur son bras. Des larmes perlèrent à ses yeux.
- il devait être particulièrement violent pour vous avoir à ce point bouleversé, constatais-je en l'encourageant du regard à continuer.
- Il était question d'un brin de muguet, raconta-t-il. D'un anneau magique. C'était beau ; fantasmagorique. La nature était belle et verte autour de moi et avec l'anneau magique je pouvais comprendre la nature, les animaux et ... j'étais bien, en accord avec moi-même et ...
La voix de Gaël se brisa soudain, les digues se brisèrent et de grosses larmes se mirent à rouler sur ses joues. Dans un hoquet à peine audible, il ajouta :
- et alors, on m'a apporté un gâteau d'anniversaire.
Je compris. Le trauma avait refait surface.
Je fis alors mon travail de psychologue de mon mieux. Au bout d'un moment – presque une heure – iel se sentait de nouveau assez calme pour que j'estime pouvoir partir sans risque majeur. Dans le couloir, tandis que je retournais vers ma voiture, je m'interrogeais : étais-je vraiment à la hauteur ? Serais-je suffisamment compétente ? Parviendrais-je à aider Gaël à emprunter le chemin d'une vie sereine malgré après ce qu'iel avait vécu ? Ses parents avaient tenté de le tuer. Parce qu'il n'était pas le garçon viril qu'ils voulaient qu'iel soit. Avec un gâteau additionné de mort au rat. Le jour de son 17e anniversaire.
J'étais arrivée à ma voiture. Je montais à l'intérieur.
Je saisi mon téléphone et ...
Non, bien-sûr que non, elle ne répondrait pas. Elle ne répondrait plus. Jamais.
Comme je jetais mon téléphone en direction du siège passager, mon majeur effleura l'écran, sélectionnant, malgré moi, un numéro de téléphone.Léo...
Je me jetais sur mon téléphone et m'apprêtais à raccrocher vivement lorsque j'entendis un « teuh teuh teuh... » Le claquement de langue était certes très éthéré. Mais il était également très familier. Je me figeais une seconde. Juste une seconde...
- allo ?
Léo avait décroché.
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La valise d'Alice
RomanceCe récit est né d'un défi littéraire. L'idée était, au départ d'écrire un texte court à partir d'un thème précis. Il s'agissait d'imaginer "un personnage qui vient d'hériter de la vieille maison de sa grand-mère. La maison a été vidée, les meubles...