AU-DELÀ DE TES OMBRES [terminé]

Chapitre 6

Hailey

J-13

Deux jours que je suis ici, à tourner en rond, désœuvrée, isolée, inconsidérée par la quasi-totalité du personnel. Tous ceux à qui j'adresse la parole se transforment en statue de pierre dès que je pose le regard sur eux. Même Carlita, la fille de la gouvernante à peine plus âgée que moi, avec qui je pensais avoir amorcé un semblant de relation se pétrifie à mon approche.

Deux jours que je suis devenue la représentante de Méduse sur Terre.

Le premier soir, j'ai appris l'origine mexicaine d'Esperanza. Son mari, Jackson Kent, est l'un des permanents travaillant sur le ranch. Tous trois habitent une dépendance en bordure des prairies nord. Carlita m'a confirmé qu'il n'y avait pas de réseau dans ce trou perdu, quand je lui ai expliqué que je ne parvenais pas à rassurer ma famille d'un simple sms. Il existe des cartes prépayées à destination des touristes, la connexion internet étant réservée aux cas exceptionnels. Malheureusement, ces cartes sont détenues par le maître des lieux par qui je dois obligatoirement passer pour en obtenir une.

Je m'estime chanceuse de détenir cette précieuse information. À partir de là, l'occasion d'échanger avec le personnel ne s'est plus présentée. Je me demande si Clin d'œil utilise ce moyen de pression pour s'assurer de ma coopération. Il ne sait pas à qui il a réellement affaire. Quelques détails glanés ici et là sur mon enfance ne lui suffiront pas à me cerner. Je ne m'abaisserai pas à le supplier quand je peux subvenir moi-même à mes besoins.

Je vais tout simplement voler un de ces fichues cartes.

Ensuite, j'appellerai Lessy pour lui certifier que je suis toujours vivante, même si je me doute que Clin d'œil est en rapport avec papa à ce sujet. Dans la foulée, je contacterai Wendy qui doit agoniser devant son écran depuis deux jours, les ongles rongés jusqu'au sang par tout ce qu'induit mon silence angoissant. Remarque, si j'attends un peu, j'ai peut-être une petite chance de voir débarquer le shérif du comté de Teton. Wendy n'attendra pas un jour de plus. Elle doit me croire morte, écrasée sous une des vaches noires de Falling Rocks, ou pire, étranglée entre les mains vengeresse du garçon vacher.

Je ris toute seule à cette évocation, alors que mon humeur n'est franchement à la plaisanterie. Je suis libre d'aller et venir dans l'enceinte du ranch, aucune interdiction n'a été formulée à ce sujet, et j'ai pourtant l'impression d'être en prison. Le contrat que je ne peux pas relire faute d'en avoir glissé une copie dans mes bagages spécifiait-il que je serais coupée du monde une fois arrivée à destination ?

Pas le droit de parler au personnel, et encore moins aux touristes qui logent à l'autre bout du ranch dans des bungalows.

Pas le droit de seller un cheval pour une balade, le cow-boy des grandes plaines a dit non. Il sait pourtant que je pratique l'équitation depuis mon premier poney. Je ne vais pas abîmer ses magnifiques quater horse que j'ai vu à l'œuvre dans le corral.

Pas le droit non plus d'emprunterun véhicule, ils sont tous réquisitionné pour le travail, même si je ne voispas trop ce que je pourrais en faire, à 30 miles de la première habitation. Puisqueje n'ai pas le droit de monter à cheval, je pourrais toujours aller faire untour en montagne dans l'un des pick-up. En revanche, le SUV noir des deux menin black a disparu depuis mon arrivée.

Pour couronner le tout, la fenêtre coulissante de ma chambre est condamnée, impossible d'arriver à débloquer le taquet. Bien sûr, je n'ai reçu aucune réponse après l'avoir signalé. Et comme le grand chef est invisible depuis le soir où je lui ai balancé mon verre d'eau à la figure, je n'ai pas d'autre choix que de prendre mon mal en patience.

Finalement, je croise si peu de monde que la bombe au poivre fourni par les soins de Wendy ne me sera pas d'une grande utilité. Je rêve pourtant d'en vaporiser une bonne dose dans les yeux de mon hôte fantôme. Ce qu'il a à m'apprendre ne doit pas être très important au vu du temps qu'il met à se décider.