— Vous aimez les hommes, Madame Sancelot ?
L'élégante femme fronce les sourcils. Gênée par ma question, elle fait glisser sa jambe de son genou pour la replacer à plat sur le sol.
— Comment ne pas les aimer ? Répond-elle enfin.
Je m'amuse de voir cette amatrice contrôler ses émotions. Elle pense qu'elle mène la danse parce que c'est elle qui encaisse les billets que je lui tends à chaque fin de séance, mais tout les mots qu'elle écrit sur son carnet Moleskine ne sont pas plus vrais que ses seins refaits.
— Il y a plein de raisons pour ne pas les aimer.
— C'est à dire ?
— Et bien ? Vous vivez dans une grotte ou quoi ? On ne vous a jamais parlé du sexisme, de la misogynie, des guerres, des ours ?
Elle se renfonce dans son fauteuil. Il faut dire qu'elle et moi ne venons pas du même milieu et de son cabinet en plein centre de ville, elle n'a pas l'air bien dérangée par les manifestations qui on lieu chaque week-end en bas de chez elle.
— Vous voulez parler de votre père ?
— Non. Mon père est peut être le seul homme que j'aime. Si on oublie Willy.
— Qui est Willy ?
Je souffle. Ce n'est pas faute de le lui rappeler à chaque séance, cette femme ne prend jamais la peine d'écrire son nom.
— Mon meilleur ami. Enfin je crois. Il ne me parle plus beaucoup, il doit être occupé.
Il a arrêté le lycée après le bac. Depuis, je n'ai des nouvelles de lui qu'à nos anniversaires. C'est pas faute d'essayer, je lui envoie des posts ridicules et il me partage des tiktoks que j'ai déjà vus il y a des semaines. J'aime bien notre relation comme elle est, mais ce serait mentir de dire que je ne la préférais pas quand je le voyais tous les jours. Maintenant, il vit sa vie, gagne ses propres batailles, et me raconte les avancées de la guerre, pendant que moi je me sens coupable de vivre une vie à des années lumières de lui.
Elle redresse ses lunettes de bibliothécaire sur son nez. Un jour, je lui dirai de les resserrer, c'est énervant de les voir glisser sur son visage alors que je lui parle et ça me déconcentre. Tout ça pour appuyer ses onomatopées ridicules, qui signifient seulement qu'elle se fiche de ce que je lui raconte.
— Et votre père alors ?
— Il n'a rien à voir dans cette histoire. Parlons plutôt des hommes.
— Je vous écoute. Vous dites qu'il n'y a que de raisons de les détester, je vous en prie, faites en moi la liste.
Son sourire condescendant m'interpelle. On a le physique de ses idées. Et cette femme a un corps de malade, à son âge, j'espère être comme elle, sans la chirurgie, le moleskine et le vote pour Macron. Si je peux avoir sa prestance sans les idées de fachos qui vont avec, je signe avec le diable direct. Tout comme elle.
— Vous êtes une maligne, vous. La liste est longue et je vous paie à l'heure.
Elle retrousse sa lèvre dans un sourire poli. Pour elle, mes blagues, mes fioritures, ne sont qu'une perte de temps, l'esquive d'un sujet sensible. Et je suis une autrice, des scénarios, j'en ai plein en tête pour nourrir ses besoins.
— Hier, je suis allée à un évènement.
Je note qu'elle n'a pas saisit son stylo quand j'ai nommé Willy mais à peine me suis-je décidée à m'ouvrir, elle note déjà tout sur son précieux papier.
— Quel type d'évènement ?
Je balaie l'air du dos de la main.
— Oh trois fois rien ; une rencontre autour d'un auteur un peu has been, avec un public aussi arriéré. Enfin, je l'admets, j'ai posé une question légèrement hors sujet, mais est-ce que vous pensez que ça méritait les remarques misogynes que ça m'a valu ?
— Quelle était la remarque ?
Mon dépit laisse échapper un ricanement de ma poitrine.
— Quelle tenue elle portait ? Est-ce qu'elle l'a allumé ? Pourquoi justifier l'injustifiable ?
Une psychologue aussi médiocre devrait revoir ses tarifs. Ça fait des années qu'elle me suit et depuis, elle ne m'a toujours pas écoutée. Je ne lui demande même plus de lire entre les lignes, juste de comprendre ce que je lui raconte. Elle reste impassible à chacune de mes piques, se rend-elle seulement compte que je la juge en tout point ? À ce stade, il est plus probable qu'elle pense que j'ai une forme de syndrome de la Tourette qui me pousse à dire des inepties entre deux phrases. Alors je continue sur ma lancée, consciente qu'elle ne relèvera pas.
— Un de mes amis était là. Il ne m'a pas aidée. Il ne m'a pas défendue. Il m'a dit de partir.
— Vous venez de dire que cet évènement ne vous convenait pas.
— Parce qu'ils faisaient tout pour que je ne m'y sente pas accueillie, m'emporté-je. Pas parce que je n'avais pas envie d'y aller. Le problème c'est eux, pas moi. C'est lui aussi. Qu'est-ce qu'il faisait là déjà ? Je pensais que c'était un homme bien. Enfin, pas que je crois que ça puisse exister mais...
— Qu'en est-il de votre ami, le...
— Willy, la reprend-je, exaspérée qu'elle m'ait coupée sur une remarque aussi bête. Willy n'est pas comme les autres. Et même lui fait des erreurs.
— Vous vous contredisez.
— Vous pouvez m'écouter ? Je ne vous paie pas pour que vous me parliez comme ma mère.
— Puisque vous ramenez le sujet sur la table, parlez-moi de votre mère.
Un boum lui tire un cri de souris. D'un geste brusque, ma chaise est tombée dans un vacarme. Je ne prends pas la peine de la remettre sur pieds, saisis mon sac et m'en vais.
— Voyez avec mon père pour la séance. J'ai pas pris ma carte.
La porte claque derrière mes pas enragés. Les hommes qui commettent des erreurs, je comprends, c'est dans leur nature, mais les femmes qui choisissent d'agir comme des hommes en échange de quelques billets, je crois que je ne me ferai jamais à une telle trahison.
Une fois dans l'ascenseur, je colle mon téléphone à mon oreille.
— Ta proposition pour ce soir tient toujours ?
***
Hey !! Je suis désolée, j'ai pris un peu de temps pour sortir ce chapitre. L'écriture du tome 2 de Because of us me prend un peu plus de temps que prévu.
J'espère que vous avez quand même aimé ce chapitre.
Je vous reviens vite, promis.
XoXo
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Les beaux maux
RomanceCarla est étudiante en commerce et passionnée d'écriture. Pour passer le temps, elle écrit une fanfiction où elle se met en scène, elle et son professeur d'italien. Mais cette petite historiette prend un tout autre tournant quand elle commence à se...