Vorsem tome 5 - Le savoir et le pouvoir

XI

Dix jours. Voilà le temps qui s'était écoulé depuis que les portes de la tour du jugement s'étaient fermées. Durant cette période, la ville de Tiristaria s'était parée du manteau blanc de l'hiver. La vision de la ville sous la neige avait quelque chose de surnaturel. Le brouillard gris typique de l'hiver donnait presque l'impression que le temps lui-même avait gelé, suspendant le cour des évènements. En un sens, c'était assez représentatif de ce que les habitants ressentaient.

La décision de la chambre des nobles allait nécessairement décider de l'avenir du pays. Un avenir bien incertain au vu de ce qui avait récemment secoué la capitale. Alors que tous se rassemblaient dans les maisons pour se réchauffer autour du feu des foyers, les questions fusaient et l'inquiétude était palpable. L'hiver était toujours une saison propice à la crainte de l'avenir. Il suffisait d'un accident détruisant les réserves de nourriture pour plonger la quasi-totalité de la ville dans une famine catastrophique. La nature ne pouvant en aucun cas subvenir au besoin d'une telle population alors qu'elle dormait sous les frimas.

Alors quand s'ajoutait à cela une forte instabilité politique, il n'en fallait pas plus plonger la capitale dans une ambiance délétère où plus personne n'osait bouger, comme si le froid avait également engourdis leurs esprits. Alaron était loin d'être épargné. Lui et ses amis étaient même particulièrement affectés, de par leurs liens étroits avec la princesse Nérissa. Les trois membres des mains royales étaient liés par serment à leur maitresse et si elle devait tomber, ils tomberaient avec elle. Béléri, elle, ne devait son refuge actuel qu'à la princesse et si cette dernière disparaissait de la scène, elle serait sans doute forcée de retourner chez ses parents. Une perspective qui la terrifiait.

Finalement, seul Liliana n'était pas vraiment concernée par ces problèmes. Étant littéralement étrangère aux problèmes du royaume de Filoria, elle prenait un recul vis-à-vis de la situation qui l'empêchait d'être touchée. Après tout, même si le royaume s'effondrait, elle n'aurait qu'à repartir sur les routes comme elle le faisait avant. Mais ce n'était pas forcément agréable pour elle. Car si ce qu'il advenait du royaume ne l'intéressait pas tellement, ce qui allait advenir des amis qu'elle s'y était fait, si. Elle se retrouvait donc impuissante devant leurs problèmes, se sentant complètement exclue. Autant dire clairement que l'ambiance chez Alaron était assez tendue.

Aucune dispute n'avait vraiment éclaté, du moins pour le moment, mais les conversations se faisaient rares et étaient souvent écourtées. Même les jumeaux avaient fini par arrêter de venir, ayant perdu l'envie de s'inviter pour les repas qui, de toute manière, se déroulaient généralement dans un silence de mort. Bien entendu, chacun était conscient de la situation et ils ne leur seraient pas venu à l'esprit de faire des reproches aux autres. Mais leurs nerfs à vif pouvaient facilement leur faire prononcer des mots dépassants leur pensée. C'était sans doute pour ça qu'ils s'étaient tous mis tacitement d'accord pour éviter de parler.

Mais le matin du dixième jour après la fermeture de la tour du jugement, les portes s'animèrent à nouveau. Les gardes placés en poste devant les portes sursautèrent en entendant les gonds grincer, mais une fois la surprise passée ils envoyèrent immédiatement un messager. La nouvelle eut tôt fait de faire le tour de la capitale, traversant les neuf cercles de Tiristaria. La population sembla sortir de sa torpeur, comme si le froid de l'hiver s'était soudainement retiré.

La décision de la chambre des nobles devait bien évidemment être annoncée à l'ensemble des citoyens, mais impossible de tous les accueillir dans le palais royal. Pour ce genre d'occasion, la voie principale de la capitale était ouverte et l'ensemble de la population s'y rassemblait pour se rapprocher du palais royal. Ensuite, depuis une estrade placée dans le prolongement de cette route, une personne pouvait se placer et, aidée par différents enchantements, sa voix parvenait sans effort à l'intégralité des personnes rassemblées.