Chapitre 3 : Sarinah

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Sarinah, juin 1401

— Fille, le combat va commencer, préparez-vous ! m'ordonne froidement mon père en me tendant ma cotte de maille que j'enfile par-dessus ma tunique couleur chair.

Chaque mot qu'il prononce est comme une lame de glace qui vient transpercer mon âme. Je sens le poids de ses attentes écraser mes épaules, et le froid métallique de l'armure ne fait qu'accentuer cette sensation d'oppression. Je m'exécute sans broncher, ma respiration se fait plus rapide alors que je glisse mes bras dans les manches lourdes de la cotte de maille.

— Bien, père, réponds-je mécaniquement, presque comme un automate programmé pour obéir. Je sais déjà que cette simple réponse va déclencher son courroux, mais je ne trouve pas en moi la force de dire autre chose. Il y a une lassitude qui s'est installée en moi au fil des années, une sorte de résignation face à la dureté de mon père.

— Combien de fois devrais-je te répéter que je refuse que tu me donnes une telle nomination tant que tu n'auras pas mérité mon estime ? martèle-t-il, la colère perçant dans sa voix. Ses mots me frappent de plein fouet, et je sens mon cœur se serrer douloureusement dans ma poitrine. Je sais qu'il n'a jamais été satisfait de moi, mais entendre ces paroles me déchire un peu plus à chaque fois. Tu es stupide au point d'oublier tout ce que je te dis dans la seconde ? Je n'en doute même pas à ce niveau.

Je meurs d'envie de lui dire que je devrais déjà lui avoir inspiré de la fierté grâce aux multiples efforts que je fais depuis mon plus jeune âge en réalisant le moindre de ses souhaits et la moindre de ses demandes farfelues, mais au lieu de ça, je baisse la tête en me mordillant la lèvre inférieure, un tic nerveux que je ne peux réprimer. Mon silence est ma seule défense, ma seule protection contre sa rage. Avec lui, je dois toujours privilégier la soumission pour éviter le pire — son ignorance et son indifférence—. Ces deux réactions de sa part sont plus douloureuses encore que la colère.

— Une Princesse ne baisse jamais la tête, me rappelle-t-il en pointant mon reflet dans le grand miroir de ma coiffeuse. Ses yeux, aussi froids que l'acier, ne me quittent pas. Il y a quelque chose de glacial dans ce regard, une absence totale d'amour ou même de simple considération.

Il ne peut pas cesser ses réflexions pour une fois quelques minutes ? Non, impossible, ce serait un rêve bien trop grand et irréalisable. Même pour le Créateur Suprême. Cette pensée fugace traverse mon esprit, et je sens une vague de désespoir m'envahir. Pardonnez-moi, très cher roi, dis-je finalement, la voix tremblante malgré moi. Mes mots sont vides, dépourvus de toute sincérité, mais ils sont les seuls que je peux prononcer sans risquer sa fureur.

— Je te laisse te vêtir tranquillement. Sois à l'heure ! ordonne-t-il d'un ton sec avant de tourner les talons et de s'éloigner, sans un regard en arrière.

Son départ me laisse un goût amer dans la bouche, comme si chaque parole qu'il avait prononcée venait de me priver d'une partie de moi-même. Le soleil va bientôt se lever, et je ne suis toujours pas prête. Je dois me dépêcher.

Selon nos habitudes, cette énième confrontation débutera à l'aube, dans la clairière Enchantia, un espace très désertique, à l'orée de la forêt de Mathilda. Ce lieu, autrefois magnifique, est désormais empreint d'une aura sinistre, comme si la nature elle-même avait décidé de refléter la noirceur de nos âmes. Je suis loin d'être convaincue que ce soit nécessaire, car cette guerre dure depuis bien trop longtemps pour des raisons vagues, des raisons qui se sont perdues dans le brouillard du temps. Chaque jour qui passe, je m'interroge sur le sens de tout cela, sur la folie qui pousse mon père et ses guerriers à continuer cette lutte insensée. Cette guerre n'apporte que des ennuis, des pertes de plus en plus majeures, mais personne ne m'écoute. Je ne suis que la fille non voulue du roi, rien de plus. Une simple pièce sur l'échiquier de son ambition, un pion qu'il sacrifie sans hésitation.

De l'Aube au Crépuscule SIGNATURE CONTRAT REFUSÉE. RéécritureOù les histoires vivent. Découvrez maintenant