🎥Bibelot bibendum

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Yaël, prénom d'origine hébraïque qui signifie « chèvre sauvage »

C'est ce matin en me réveillant que j'ai vu avec lassitude que rien n'avait changé. Mes yeux me trompèrent au moment même où en me levant ils tombèrent sur mes cuisses. Puis le miroir a ri de moi lorsque je suis passé devant en m'habillant.

- Grosse vache ! Espèce de connasse !

Je ne l'écoute même plus en me débarbouillant devant le miroir de la salle de bain qui me nargue doucement. Mais ce ne sont pas les reflets que je crains le plus, il y a toujours ceux du lavabo.

Le torse bombé du métal me fait paraitre plus enflée que je ne le suis. Mes yeux sont attirés par lui inexorablement, et j'ai beau lui échapper, je suis coincée dans ce tuyaux comme l'eau qui s'en échappe à grosses gouttes.

- Tu ne vaux même pas la peine qu'on t'adresse la parole, me murmure le reflet de la fenêtre.

- Je sais, répondais je sans relever la tête, le dos déjà plié sous le poids de son corps, sous le poids de son apparence.

Pas de petit déjeuner pour ce matin.

- Grosse vache, grince la bouche close de ma mère, qui était dos à moi et préparait le petit déjeuner.

J'avais déjà assez mangé. Assez mangé pour toute la semaine, ou même pour toute ma vie. Le simple fait de penser au fait de déguster les délicieux oeufs brouillés de maman me retournait le ventre, me donnait des sueurs froides.

Je m'asseyais en remerciant le ciel (et tout ce qui pouvait avoir fait tout ce beau monde dans ce corps immonde qui était le mien) de ne pas avoir les cheveux frisés de ma mère. Elle se levait trop tôt pour les brosser, leur donner un aspect qu'elle s'obligeait pour ne pas se faire juger dans la rue.

Saleté de racisme. Saleté de corps. Je rumine et marmonne un au revoir qu'elle n'entend même pas. Si seulement on était une âme détachée de notre enveloppe corporelle. Si seulement je n'avais pas ces cheveux graisseux, cette peau boutonneuse et café au lait qui m'attirent tout ces regards. Si seulement j'étais juste un esprit, qui vogue comme ça, sans but.

Si j'étais née blanche, blonde, aux yeux clairs. Si ma mère n'avait pas déjà eu trois enfants, puis deux après moi ? Est-ce que je me serais appelée Yaëlle ?

- Je me serais appelée Louise Dupuis. Je ferais du piano et de la danse, mes amis s'appelleront Jacques, Henri et Marie-Claude.

Et je serais allée autre part que dans cet établissement de quartier pourri. J'aurais eu une meilleure forme et...

- Grosse... murmurent les passants dans la rue.

Ils se moquent de moi, et je le sais parfaitement. Je leur souris, j'ai envie de les frapper. Mais qui sait qu'avec le bibendum qui me sert de corps, il se moqueraient aussi de moi dans ma colère ? Dans ma tristesse ?

Je ne vois rien d'autre dans les vitres des magasins que les couches de gras qui me recouvrent, et la honte que j'ai de les porter.

- Dégueulasse, murmurent les panneaux en penchant vers moi leurs longs cous de girafes.

- Non mais tu l'as vue ?

- La regarde pas dans les yeux...

J'avance et je traverse les derniers mètres qui me séparent de cette école maudite. Toujours à l'avance de 15 minutes. Il ne faudrait pas que j'arrive essoufflée. Ils verraient alors...

À quel point je suis grosse.

La Mort est une ConnasseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant