Chapitre V - Partie 3

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Vendredi 28 mars 2015 - 23h 17 - Près d'Angers

Ticia entra dans sa chambre d'enfant avec l'intention de démasquer son correspondant mystère. Elle comptait comparer les deux cartes de Noor avec celle qu'elle-même avait reçue pour son anniversaire. Si elles correspondaient en tous points, on pourrait en déduire qu'il s'agissait de la même édition. Dans ce cas, Laetitia craignait qu'il s'agisse d'une menace. Quelqu'un envoie ces cartes à Noor par différents moyens pour démontrer sa capacité à l'atteindre. Cela signifie également que la menace...

Ticia suspendit son raisonnement. Elle tournait autour de son lit, cherchant la carte en question. Elle aperçut le carnet au sol, à l'endroit où elle l'attendait. La Tour aurait dû s'y trouver aussi ; elle avait disparu. La jeune femme feuilleta le cahier dans l'espoir que le marque-page s'y cache ; rien. Est-ce qu'on serait entré pour la subtiliser ? Mais qui ? Et pourquoi ?

Inutile de se mentir : la raison, elle la connaissait. Quelqu'un attendait d'elle qu'elle lise « Noirs présages ». Jusqu'à présent, Ticia s'y refusait. Cette personne lui montrait donc sa capacité à atteindre Noor et à entrer chez sa propre mère pour y reprendre sa carte. Ainsi, la menace devenait claire : lis, ou il arrivera quelque chose à Noor. Mais Ticia ne possédait plus le livre. Il ne lui restait que le carnet. Et pour protéger Noor, se dit-elle, peut-être vaut-il mieux arrêter de lui parler, pour faire croire à ceux qui envoient les cartes qu'elle m'importe peu. Aussitôt formulée, elle détesta cette idée. Mais je vois pas comment faire autrement...

Laetitia reprit donc sa lecture du carnet où elle l'avait laissée :

« L'escalier s'enfonçait dans l'obscurité. Il s'enroulait autour d'une colonne de plâtre, et la voix m'incita à le suivre :

- Une marche après l'autre. Arrêtez-vous d'abord sur la première. Une douce chaleur grimpe de vos orteils jusqu'à vos chevilles.

Elle me guidait lentement vers une nuit tiède, jusqu'au palier. Elle raconta ensuite que je trouverai une porte devant moi. "Si vous voulez bien la pousser." Derrière, je découvris un couloir baigné d'une lumière tamisée. De multiples portes à hublots perçaient les murs.

- Maintenant, rappelez-vous bien, disait la voix. Vous êtes en sécurité. Alors vous pouvez avancer vers la porte la plus proche.

Je m'exécutai.

- Qu'est-ce que vous voyez, par le hublot ?

De l'autre côté de la porte, je trouvai la salle de classe de Mme Moreau. La professeure tentait de donner cours ; mes camarades essayaient de l'en empêcher.

- Très bien, commenta la voix. Voulez-vous avancer vers la porte suivante ?

J'obtempérai et me retrouvai devant un hublot noir de suie. À travers, on distinguait une lueur orangée, vacillante. Je sentais d'ici la chaleur et l'odeur piquantes piégées de l'autre côté.

- Qu'est-ce que vous voyez ? me demanda la voix.

- Quelque chose brûle.

- Et si vous entriez ?

Je tressaillis. Ma gorge roulait un nœud aussi gros qu'une pelote de laine, alors que ma bouche s'asséchait. Derrière cette porte, je pressentais une menace plus grande encore qu'un incendie. Si je m'aventurais de l'autre côté, quelque chose de terrible se produirait.

- Non ! J'veux pas ! ma voix sortit de ma gorge comme le pépiement d'un oiseau blessé.

- C'est pas grave ! C'est pas grave ! assura la voix.

Trop tard. Une fumée noire s'infiltrait déjà par-dessous la porte. Elle s'élevait autour de mes chevilles comme pour les saisir et m'attirer à l'intérieur. Je poussai un cri en fuyant. Je me précipitai vers la salle de classe. Je sortis du couloir comme un diable de sa boîte, pour me retrouver au milieu d'un cours de français.

- Vous êtes en retard ! grinça Mme Moreau. Ce sera un devoir supplémentaire pour vous !

- Mais y a le feu ! criai-je.

Je calai mon dos contre la porte, comme pour empêcher l'incendie d'entrer. Personne ne réagit. Les élèves parlaient de plus en plus fort, sans nous prêter la moindre attention, à la professeure et à moi-même. Je saisis le plus proche de mes camarades par le poignet pour le secouer :

- Y a le feu ! répétai-je.

- Et alors ? Qu'est-ce que j'y peux ? gronda-t-il avant de reprendre sa conversation avec son voisin de table.

Un par un, je secouai les lycéens ; un par un, ils me renvoyèrent promener. La panique me dévorait. Puis, je la vis. Ticia. Si seulement je pouvais la sauver. »

Le passage se terminait sur cette étrange phrase. Ticia s'accorda un répit pour la nuit. L'heure avançait et sa fatigue gagnait du terrain. Peut-être le sommeil l'aiderait-il à trouver du sens à sa lecture.

Noirs présages - Lorem ipsum IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant