Chapitre III : Faux départ

32 7 34
                                    

Mercredi 24 décembre 2014 – 20h 36 – Près de Marseille

L'air nocturne brûlait d'une fraîcheur piquante. Le vent portait un lointain bruit de circulation et des embruns iodés. Où est-ce que j'ai atterri, cette fois ? Les façades environnantes clignotaient dans leurs colliers de LED multicolores, rivalisant de décorations dans un concours festif. Un moteur approcha. Deux phares percèrent la nuit, découvrirent un sentier de graviers, et le suivirent. Les cailloux crissèrent sous les pneus, puis se turent à l'arrêt du véhicule. Par la porte côté passager sortit une botte de cuir noir, suivie d'une autre. La forme humaine se détachait à peine de la nuit, à la lueur irrégulière des guirlandes électriques. Cependant, j'aurais pu reconnaître Laetitia Bartoli sous n'importe quel éclairage. Le conducteur, en revanche, ne me rappela personne.

- Tu sais, ça me surprend que tu me demandes ça, disait la voix masculine du chauffeur. Mais je suis content que tu veuilles renouer le contact avec ton cousin. Avec ta mère, on s'inquiétait que tu parles plus à personne, tu vois ?

Il claqua la portière derrière lui. Ticia écrasa un soupir. « Ça répond pas à ma question. » songea-t-elle alors que ses pas la guidaient vers la maison la plus proche.

Ils parvinrent devant un couple de marches menant à une porte d'entrée. Par les fenêtres, la lumière découpait l'obscurité et tomba sur le visage de l'inconnu que j'identifiai immédiatement : Jean-Christophe Bartoli ; l'homme que Ticia appelait Papa. Celui-ci sonna à la porte. On vint leur ouvrir. Une dame sans âge les invita à entrer, et sitôt à l'intérieur, Ticia se mit en quête du fameux cousin avec pour objectif secondaire de saluer tous les convives.

La jeune femme détestait les mondanités et s'empressa d'en finir avec les « Bonsoirs » et les « Joyeux Noël ». Elle esquiva les questions et commentaires d'usage comme « Qu'est-ce que tu deviens ? » et « Ça fait longtemps ! ». Elle brava la foule familiale qui complimentait l'odeur de la cuisine et la décoration du salon, pour trouver celui qu'elle cherchait.

Parmi toutes les personnes présentes, c'est un jeune homme brun qu'elle attira à l'écart. Il pinçait les lèvres et serrait la mâchoire, mais la suivit tout de même à l'étage.

Au fond du couloir, Ticia poussa une porte. Les gonds se plaignirent et lui dévoilèrent une obscurité aux fragrances de vieux papiers. À tâtons, elle chercha un interrupteur. Lorsqu'elle le trouva, la lumière tomba sur une pièce figée dans le temps ou dansait un voile de poussière. Depuis le plafond, la lampe projetait des lueurs oniriques sur les étagères. De bois sombre, ces dernières s'étiraient du plancher aux poutres et portaient les dossiers de toute une vie de labeur, soigneusement alignés ; des rayons de livres à la couverture défraîchie. Leurs pages, gardiennes intemporelles de secrets oubliés, promettaient un fragment d'Histoire à l'œil curieux qui oserait s'y poser.

Au fond de la pièce, derrière un bureau en bois massif, patientait un fauteuil de cuir, usé par les heures de travail. Dans un coin, oscillait le balancier d'une horloge comtoise. Il produisait un tic-tac régulier, joint par la discrète mélodie des rouages en mouvement.

D'un geste de la main, Ticia invita son cousin à entrer en premier. Lui, demeura sur le palier à fixer la jeune femme :

- Qu'est-ce que tu veux, toi ? s'impatienta-t-il.

Malgré son agacement, autre chose paraissait dans sa voix. Ticia entra sans attendre. Sans doute conscient qu'il devrait suivre pour obtenir des réponses, il l'imita. Elle referma la porte derrière lui et observa son cousin. Elle songea que l'âge adulte se montrait clément avec lui, davantage que l'adolescence. S'il demeurait petit, la puberté l'avait délesté de ses quelques kilos en trop.

Noirs présages - Lorem ipsum IOù les histoires vivent. Découvrez maintenant