Astal

Chapitre 1 : Une nuit sans étoiles

Les flocons tourbillonnaient en un silence presque mélancolique dans le labyrinthe de ruelles pavées. Sinueuses et bien trop souvent drapées d'une ombre inquiétante, elles se mouvaient d'une manière traître qui ne laissait pas d'autre choix aux étrangers que celui de se perdre. La neige effleurait timidement les murs de galets des maisons, comme si s'approcher de trop près pouvait lui porter préjudice. Un amas de nuages couleur nuit avait envahi le ciel ce soir-là, dissimulant la ville aux yeux des astres argentés. Pour errer dans ce quartier mal famé à une heure aussi tardive, il fallait être un ivrogne, un brigand, ou un fou. Mais toute généralité a son exception, n'est-ce pas ?

Une silhouette emmitouflée dans une cape noire tournait d'un pas tranquille à l'angle d'un énième croisement. Il n'y avait pas assez de lumière pour distinguer autre chose qu'une paire de bottes en cuir usée à ses pieds. Sa tête pivota vers un bâtiment lorsque des exclamations enthousiastes se firent entendre. La fenêtre laissait un rectangle doré sur la poudreuse, et l'on pouvait apercevoir des convives brandir des chopes dégoulinantes de bière, toutes dents dehors. Une odeur de viande grillée se répandait dans la rue. Une vieille enseigne à moitié pendue se balançait, crissant au gré du vent hivernal.

"Chez Risko".

Après une seconde d'hésitation, de fins doigts blancs couverts d'égratignures émergèrent d'entre les pans de la cape et se posèrent sur la porte en bois de l'établissement. Elle s'ouvrit en un long grincement, et le brouhaha impressionnant qui régnait à l'intérieur de la taverne envahit la ruelle.

- Bienv'nu ! s'exclama le tavernier en contournant avec empressement le bar. Qu'est-ce que j'vous sers, voyageur ?

Le petit homme barbu referma la porte avec un sourire commercial. Il voulut retirer la cape de son client mais ce dernier l'en dissuada d'un geste de la main.

- Un repas à base de pain, de viande et de fromage. Et une chope de bière.

- Un p'tit instant, fit le tavernier en disparaissant de nouveau derrière le comptoir.

Il héla une phrase en Skürn, sans doute en direction des cuisines. Le "voyageur" s'installa à une table tout au fond de la salle et s'adossa au mur. Des hommes chantaient à tue-tête autour d'un pianiste amateur, un groupe jouait aux cartes, un autre encore semblait au beau milieu d'un débat animé... Le tavernier ne tarda pas à revenir.

- C'est 20 limes le repas, 2 la bière. Donc 22 limes.

- Je pense me resservir, je payerai lorsque ce sera fait.

Le petit homme fit la moue mais déposa une assiette contenant un demi-pain, de la viande saignante et un morceau de fromage fondant devant le voyageur sans broncher. Il s'apprêtait à partir lorsqu'un cri retentit. Le brouhaha cessa brusquement et une chope explosa sur le parquet de la taverne. Le voyageur glissa discrètement le contenu de son assiette dans un sac en bandoulière jusque-là dissimulé sous sa cape tout en observant la scène.

Un homme à large carrure, plus taureau que humain, avait poussé avec rudesse une jeune serveuse à terre. Une tache jaunâtre s'étalait peu à peu sur sa chemise.

- Tu peux pas faire attention ?! cracha-t-il avec un mépris évident.

La jeune femme se recroquevilla et baissa piteusement les yeux sur son tablier, se confondant en multiples excuses. Elle tremblait de tous ses membres. Sans prendre le temps de réfléchir, le voyageur voulut se lever pour intervenir mais le tavernier le retint avec empressement par un des pans de sa cape.

- Es-tu complèt'ment barge ? N'fais pas ça l'ami, ou tu y perdras p't'être la tête !

Sous sa capuche, les sourcils du voyageur se froncèrent. Sa voix devint glaciale.