Chapitre six

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Toc, toc, toc...

Mon coeur tambourine dans ma cage thoracique aussi fort que mon poing contre cette porte
Cela fait bientôt trois ans que j'ai fui cet endroit, trois ans que mon départ surprise a fini de détruire cette "famille". Revenir ici.. dans de telles circonstances ?
Ça me fout la gerbe.
Je dégluti et m'apprête à toquer une seconde fois.
Des pas lourds se font entendre derrière la porte et mon élan se coupe lorsque celle-ci s'ouvre faiblement. Le spectacle qu'elle dissimulait à l'intérieur de cette maison me glace le sang. Ma mère est là, les yeux rouges et larmoyants, ses jambes tremblantes, et son équilibre franchement passable.
Je ne savais pas que les monstres étaient capables de pleurer.
Cette distinction fit remonter ma nausée au plus haut de mon oesophage
Ok, il se passe vraiment un truc.

Je passe alors le pas de la porte, ignorant l'état troublant de ma mère. Alors que j'avance d'un pas élancé, elle m'agrippe le bras du bout des doigts, semblant manquer de force, et s'effondre contre mon torse.
Elle me serre si fort que je frôle le malaise.
Une vive décharge transperce mon être.
Ma mère pleure. Dans mes bras. MA MÈRE.

Elle qui était l'imperturbable, l'intouchable, l'inarretable, celle qui n'as jamais laissé de place aux émotions, le mur de glaçe, était en train de pleurer dans mes bras.
Putain, qu'est-il arrivé de si grave ? Et si c'était Roy ?

Ma nausée atteint son point culminant.
Trop d'informations défilent dans ma tête, le choc m'empêche d'effectuer le moindre mouvement.
Je suis là, paralysée dans l'entrée de cette maison que je hais du plus profond de moi-même, le tyran de mon enfance en position d'ultime faiblesse, priant presque que je lui rende son étreinte. Tout ça, en voyant la scène ridicule dans les yeux de Walter, avachi dans le siège en cuir vert au fond de la pièce, un verre de Bourbon dans la main qui, visiblement, n'a pas l'air d'être son premier.

Je suis dans un monde parallèle.
C'est un cauchemar, je vais bientôt me réveiller.
...

Après cinq longues minutes à analyser la situation sous tous les angles possibles et imaginables, la voix rauque de Walter vient éteindre mes pensées.

— Svetlana, laisse Rose s'installer. Et calme toi un peu, dit-il d'un ton froid et sec.

Ma mère relâcha son étreinte sans broncher, et part s'asseoir directement sur une des chaises de bar à côté de Walter, fixant le vide..

Deux secondes plus tard, un brouhaha retentit à l'étage avant que des pas rapides et furtifs ne dévalent l'escalier laissant apparaître un jeune garçon aux yeux verts et au teint gris.

— ROSE ! crie-t-il avant de se jeter, à son tour, dans mes bras.

Cette fois-ci, c'est moi qui pleure.

— Roy, tu m'as tellement manqué mon coeur, je suis heureuse de te voir. Tu as bien grandi tu sais ?
Il sourit légèrement et cache son visage dans mon cou.

Ses joues sont toujours aussi froides.. Et son visage se grise de plus en plus. Il n'a pas encore perdu tous ses cheveux.
Roy est atteint d'un syndrome myélodysplasique, une forme dérivée de la leucémie. Nous l'avons découvert il y a huit mois. Je m'en veux tellement de ne pas être présent pour lui au quotidien, je m'en veux d'autant plus que je ne suis jamais venu le voir depuis que j'ai appris la nouvelle. Je sais que lui ne m'en veux pas, il comprendrait s' il était en âge de tout connaître, seulement ma culpabilité me rend faible lorsqu'il s'agit de Roy. C'est la plus belle chose qui soit arrivée dans ma vie, et je sais qu'on ne tardera pas à me le reprendre, et ce jour-là, je ne serais plus jamais moi-même.
Walter se lève et vient, encore une fois, interrompre nos retrouvailles.

Succession [ EN COURS ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant